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Refondation Révolutionnaire

Préambule 


Nous vivons une séquence de crise profonde du capitalisme à l’échelle internationale. En Belgique, cela se traduit par une offensive brutale du gouvernement Arizona contre notre classe et la montée des idées de droite et d’extrême droite. Le contexte mondial est lui marqué par la nouvelle internationale réactionnaire de Trump, Milei, Meloni and co ainsi qu’une préoccupante nouvelle course à l’armement des impérialismes européens.


Face à cette situation, la combativité existe à l’échelle mondiale, avec les soulèvements en Serbie ou en Turquie, mais aussi en Belgique, où nous assistons à des développements qualitatifs dans la lutte des classes combinés aux importantes mobilisations antifascistes, écologistes, féministes et de solidarité avec la Palestine de la dernière période. Mais ce potentiel reste actuellement sans débouché politique laissant les travailleur.euse.s et la jeunesse radicalisée orphelins d’un outil révolutionnaire capable de définir une politique qui part de ces combats pour construire une orientation unificatrice et victorieuse.


Tel était le projet du PSL. Mais force est de constater que nous sommes en train d’échouer. Pas à cause des difficultés de la situation objective, mais parce que notre orientation, nos méthodes, notre fonctionnement ne sont pas à la hauteur de la période. Le cadre stratégique dont nous avons hérité n’a jamais été sérieusement interrogé, ni enrichi par la pratique. Il nous a enfermé dans une impasse politique qui est aujourd’hui reconnue par la majorité des membres de notre organisation.


Ce débat ne part pas de nulle part. Déjà en 2023, le texte de la conférence du parti alertait :


« Le parti a dû faire des pas en arrière et le danger est que si nous ne nous adaptons pas à la nouvelle période, il nous sera difficile d'arrêter ce processus. L'année dernière, lors du congrès, nous avons déjà parlé du danger du substitutionnisme au sein du parti. Il s'agit du phénomène par lequel de plus en plus d'activités du parti deviennent dépendantes de l'implication ou même de la direction politique et organisationnelle d'un permanent. [...] Nous avons besoin d'une sorte de remise à zéro de notre fonctionnement pour évaluer tous les aspects de notre fonctionnement et les adapter à la nouvelle période. Le résultat final doit être que les membres repartent avec confiance en utilisant les outils politiques du parti pour le construire. Il faut donner à la jeune génération la confiance nécessaire pour qu'elle soit au volant de ce processus. »


Ce document mettait pour la première fois des mots clairs sur un malaise profond et largement partagé : le désengagement, l’attentisme, le recul de la confiance dans nos outils collectifs, la dépendance accrue aux permanent.e.s, l’absence de culture de débat et de démocratie interne, l’échec politique de la direction,... Mais si ce diagnostic a été posé, depuis, aucune orientation politique structurante n’a été véritablement proposée pour en tirer les conséquences. Ou plutôt, depuis, la seule réelle discussion et adaptation a été de renforcer le safeguarding pour mieux traiter les violences sexistes et sexuelles (VSS), ainsi que de déclarer le féminisme socialiste comme un axe prioritaire de notre intervention.


Deux avancées qui étaient absolument nécessaires et que nous défendons pleinement face aux comportements inadmissibles tolérés trop longtemps par la direction. Mais en l’absence d’un cadre stratégique global et d'un fonctionnement renouvelé, ces avancées restent partielles et parfois ambivalentes. Par manque de remise en question plus globale de notre histoire politique et de véritable “remise à zéro” conformément à ce texte de la conférence de 2023, cela a laissé l’espace à certains camarades, qui elles.eux rejettent clairement le processus de transformation, de caricaturer ce même processus tout en tentant de convaincre dans les couloirs que les développements actuels ne seraient que pure liquidation du parti.


Nous sommes convaincu.es que nous devons engager sans ambiguïté ce processus de review de notre histoire politique et de notre fonctionnement. Ce constat d’impasse stratégique nous oblige à rompre avec les méthodes et les orientations qui nous ont menés jusque-là. Nous pensons qu’un simple réajustement ne sera pas suffisant mais que nous avons besoin urgemment d’une véritable refondation politique en profondeur. Nous pensons qu’une discussion franche est nécessaire entre celles et ceux qui partagent ce diagnostic : pour clarifier ce qui nous unit, débattre de ce qui nous divise et décider lucidement si nous voulons et si nous pouvons encore construire ensemble. Ce texte avance 10 axes fondamentaux pour refonder un parti révolutionnaire à la hauteur de la période. Nous invitons chaque camarade à s’en saisir, à en débattre et à le soutenir lors du prochain congrès.


1. Se refonder : rompre radicalement avec la politique du CIO 


Ce n’est pas un débat théorico-historique qui nous amène aujourd’hui à parler de refondation. C’est un constat partagé par beaucoup de camarades: notre organisation ne parvient plus à remplir sa fonction politique.

Nous devons nous interroger sur les raisons pour lesquelles notre organisation ne parvient pas à se lier durablement aux avant-gardes radicalisées, aux secteurs combatifs de la classe ouvrière, aux jeunes en lutte contre les oppressions ? Pourquoi nos interventions dans les mouvements restent elles aussi trop souvent périphériques ?


Nos militant·es investi.e.s dans les syndicats sentent que leurs efforts se retrouvent isolé·es face à la bureaucratie, sans relais collectifs ni réflexion pour organiser la confrontation. Cet isolement et ce manque de perspectives finissent soit par dégoûter ces camarades de la lutte syndicale, soit par les enfermer dans une passivité, voire, pire, par les faire glisser vers une intégration partielle à la gauche de la bureaucratie syndicale. D’autres, impliqué·es dans les mobilisations féministes, queers, antifascistes ou pour la Palestine, ne parviennent pas à faire exister une intervention réellement intégrée aux mouvements: l’action du parti y reste vécue comme extérieure, sans dialogue politique structuré. Des camarades impliqué·es dans des cadres d’auto-organisation voient l’énergie, la créativité, la radicalité qui s’y expriment mais se sentent seul·es à faire le lien entre ces dynamiques et les projets du parti, sans soutien clair ni orientation collective.


Toute la discussion autour de notre approche politique et de notre intervention dans le mouvement Palestine a permis de rendre limpide cette problématique aux yeux de nombreux.euse.s camarades alors que de nombreuses interventions passées avaient déjà montré clairement ces faiblesses (La Santé en Lutte, Comité Delhaize,...). Force est de constater que tant que nous ne contrôlons pas ces espaces ou que nous y sommes en minorité, notre intervention y reste timide, conditionnelle ou déconnectée. Le parti les néglige, voire s’en méfie.


Nous refusons de penser que tout cela est simplement le fruit de nos limites militantes ou de “conditions objectives qui ne seraient pas encore mûres”. Nous pensons que c’est la stratégie profondément inefficace du CIO puis de ISAqui continue encore aujourd’hui de structurer notre manière d’intervenir, de hiérarchiser les enjeux et de penser l’organisation. Il s’agira donc de rompre radicalement avec la politique du CIO.


1.1 L’héritage du grantisme 


Ce cadre, nous ne l’avons pas inventé. Il est hérité. Hérité d’un courant particulier du trotskisme : le grantisme2. Un courant qui a profondément façonné notre organisation, notre manière d’analyser les rapports de force, nos priorités, et notre orientation dans la lutte de classes.


Nous sommes conscient.es que l’héritage politique de ce courant, dont ses origines remontent à la fin des années 40’, ne peut pas se résumer en un seul texte. Il n’en reste pas moins qu’il devient urgent, après les scissions à répétition que nous avons connues ces dernières années, d’être capable d’identifier certaines sources de la crise que l’on traverse.


Nous avons essayé d’identifier certains éléments très concrets, liés à la logique politique de notre courant et qui ont été paralysants pour notre organisation et ses membres :


- Une logique de fermeture vis-à-vis des nouvelles radicalités perçues comme gauchistes, petites-bourgeoises ou secondaires (Par exemple: avec de nombreux collectifs antifascistes, antiracistes, queers radicaux, pro-palestiniens,...).


- Une logique de subordination de notre activité aux cadres existants, refusant de facto de construire des formes d’auto-organisation indépendantes lorsqu’elles ne s’inscrivent pas dans le sillon syndical ou d’un parti réformiste (Par exemple: La Santé en Lutte, Les Comités Delhaize, le Collectif 8 mars, Stand-Up, etc.).


- Une forme d’adaptation sociale et politique à la gauche de la bureaucratie syndicale et à l’aristocratie ouvrière3. En valorisant certaines couches stables du mouvement ouvrier traditionnel, nous avons intégré leurs normes et reproduit en interne des pratiques paternalistes, masculinistes, blanches et autoritaires, au détriment d’un enracinement plus large et plus diversifié dans notre classe (Par exemple: salarié.es précaires, sans-emplois, mères célibataires, sans-papiers, minorités de genre, etc.).


- Une logique de sectarisme systématique vis-à-vis des autres courants révolutionnaires, vus comme concurrents plutôt que comme partenaires possibles d’une recomposition à gauche par la base.


- Une incapacité structurelle à faire des bilans politiques honnêtes et publics, les erreurs étant niées et renvoyées à la situation objective pas encore mûre, sans remise en question réelle de la ligne malgré les signaux, questionnements et critiques développées dans les sections de base.


- Une construction de parti fondée sur une logique top-down, où les décisions descendent de la direction sans véritable élaboration collective, vidant le centralisme démocratique de son contenu et réduisant la base à de simples exécutant.e.s.


- Une culture interne marquée par la défiance et la fermeture, où les désaccords sont souvent perçus comme des attaques et où le débat est confiné à un petit cercle dirigeant coupé de la base.


- Une gestion défaillante des oppressions au sein même de l’organisation, avec des comportements sexistes, racistes ou autoritaires tolérés ou minimisés comme “problèmes interpersonnels” tandis que les camarades qui osaient dénoncer ces dysfonctionnements étaient systématiquement calomnié·es ou isolé.e.s.


La stratégie de Ted Grant, fondateur de notre ancienne internationale, le CIO, s’est fondée sur l’entrismeprolongé dans les organisations réformistes de masses de la classe ouvrière. Elle reposait ainsi en quelque sorte sur la perspective que les masses s’y radicaliseraient “automatiquement” en période de crise. Ce qui faisait des structures réformistes le principal terrain d’intervention pour les révolutionnaires de notre courant, non comme un espace à traverser tactiquement et temporairement, mais comme un horizon stratégique en soi.


Dans les années 1990, au sein du CIO, cette orientation a pris une forme 2.0 avec les “Nouveaux Partis des Travailleurs”. Puis, dans les années 2010, une version 3.0 a émergé autour des “Nouvelles Formations de Gauche” reposant sur le même postulat d’une “étape réformiste” comme préalable inévitable avant tout tournant révolutionnaire. Aujourd’hui, on aura tendance à reproduire ces logiques avec ce qu’on appelle “la gauche de rupture.”


En Belgique par exemple, ce tournant vers les nouvelles formations de gauche s’est fait sans véritable bilan de nos tentatives précédentes autour du mot d’ordre du PSL d’un « Nouveau Parti des Travailleurs ». En 2005, après l’échec du Comité pour une Autre Politique5(CAP) et d’autres initiatives et malgré l’émergence du PTB comme principale force à gauche, nous avons freiné des quatre fers pour ne pas nous y confronter politiquement. Petit à petit, l’idée s’est installée que, si l’on tenait bon, la situation objective finirait par tourner et validerait ainsi notre orientation. Plutôt que d’interroger nos choix, nous avons glissé dans une forme d’attentisme, renforçant l’illusion que notre tour viendrait presque mécaniquement.


Cette orientation a laissé des traces durables. Elle alimente une tendance à l’adaptation, à la sous estimation des ruptures nécessaires, à la méfiance envers les dynamiques qui naissent hors du mouvement ouvrier traditionnel.


Clarifier ces impasses ne signifie pas nier ce que nous avons construit, ne signifie pas non plus jeter à la poubelle notre expérience collective mais cela doit nous amener à comprendre lucidement ce qui entrave notre capacité à agir. Refonder le PSL, ce n’est pas simplement “se relancer” : c’est rompre consciemment avec un cadre qui, en prétendant assurer la continuité d’un courant historique, nous a empêchés de répondre aux nouveaux défis politiques. C’est retrouver l’initiative, la clarté et l’audace qui font la différence entre une organisation qui survit et une organisation qui (se) transforme. C’est construire une organisation qui ne se contente pas de commenter la lutte de classes, mais qui se prépare à intervenir activement dans les phénomènes de révolution et de contre-révolution qui, tôt ou tard, feront irruption.


1.2 Les oppressions : une faille structurelle 


L’un des angles morts les plus profonds du CIO réside dans son incapacité structurelle à intégrer les oppressions spécifiques comme un levier décisif de politisation, de structuration et d’unification de notre classe. Cette carence n’est pas anecdotique : elle découle d’une conception économiste 6de la lutte des classes, dans laquelle la classe ouvrière est vue comme un bloc homogène. La lutte contre le sexisme, le racisme ou la queerphobie y sont relégués à des dimensions “secondaires”, seraient “subordonnées” à la lutte des classes, voire perçus comme des obstacles à l’unité de classe. Le résultat, c’est la continuation d’une orientation incapable de comprendre où peuvent émerger les nouvelles avant-gardes.


Cette cécité est aussi le produit d’une adaptation politique durable aux formes dominantes du mouvement ouvrier. En érigeant les appareils réformistes et syndicaux traditionnels comme l’horizon unique de l’intervention révolutionnaire, notre courant s’est aligné sur leurs normes internes historiquement façonnées par l’aristocratie ouvrière blanche, masculine, cisgenre et hétérosexuelle. Il en découle une sous-représentation systémique des camarades issu·es des secteurs les plus opprimés de la classe et une tendance à reléguer leurs combats comme secondaires ou “pas mûrs” pour l’intervention.


1.3 La “double tâche” comme double impasse 


Dans la racine politique du CIO, nous trouvons bien évidemment le concept de “double tâche”7. Pour clarifier immédiatement, nous ne rejetons évidemment pas la nécessité d’intervenir dans les processus réels de la lutte des classes, y compris lorsque ceux-ci prennent temporairement la forme de phénomènes réformistes. Mais il y a une différence fondamentale entre intervenir tactiquement depuis une position d’autonomie révolutionnaire, et, au contraire, faire de ces projets réformistes l’axe central de notre orientation. Or, c’est bien ce glissement que nous avons opéré trop souvent, jusqu’à développer la perspective d’attente que ces formations réformistes “fassent la preuve de leurs limites” avant d’avoir l’espace pour construire une alternative révolutionnaire indépendante.


Ce schéma hérité du grantisme a été appliqué mécaniquement, sans remise en question, malgré les échecs cuisants qu’il a produits : en Grèce avec Syriza, en Espagne avec Podemos, aux États-Unis avec Sanders, en Allemagne avec Die Linke ou encore en Grande-Bretagne avec Corbyn. Dans chaque cas, ces projets ont débouché sur des défaites plus ou moins importantes pour notre classe, et les illusions brisées ont eu souvent comme effet de désarmer politiquement des millions de personnes. Aujourd’hui, en reproduisant les mêmes schémas, on a pu reporter de nouvelles illusions envers le NFP en France8,

Mais le plus grave, c’est que nous n’avons été ni réellement capables d’influencer ces processus, ni de renforcer notre propre organisation dans leur sillage, ni même d’entrer en contact avec les nouvelles couches radicalisées qui s’y sont engagées. Nous sommes restés spectateur.ices, parfois critiques, mais le plus souvent impuissant.es.


Rompre avec cette logique attentiste ne signifie en rien adopter une position sectaire vis-à-vis des masses influencées par le réformisme, ni même vis-à-vis des organisations réformistes elles-mêmes. La méthode de la “double tâche” nous a empêché de penser profondément la tactique du “front unique”. Nous y reviendrons plus tard, mais nous pensons qu’au contraire : il faut défendre une politique active de front unique, telle qu’elle fut conçue par la Troisième Internationale sous Lénine et Trotsky. Une politique qui part des besoins réels de la classe, cherche l’unité d’action sur des objectifs concrets et permet de gagner des secteurs influencés par le réformisme à une orientation révolutionnaire à travers l’expérience commune de la lutte.


Mais en l’absence d’une autonomie stratégique claire, la “double tâche” s’est transformée en double impasse : pas de travail tactique efficace de front unique, car nos interventions restaient diluées dans des cadres dominés par le réformistes et pas de construction révolutionnaire “à drapeaux déployés”, car sans rupture politique assumée, notre organisation peinait à proposer une alternative crédible à celles et ceux qui avaient déjà dépassé les illusions réformistes.


1.4 Tirer des bilans ! 


Mais il ne suffit pas de constater que ce choix politique a échoué. Il faut aussi comprendre pourquoi elle a été poursuivie si longtemps, malgré l’accumulation d’échecs. Et là se dévoile une faille tout aussi décisive : l’absence de bilan. Car si nous avons persisté dans nos logiques issues de ce logiciel politique du CIO, ce n’est pas seulement par inertie idéologique, mais parce que nous avons collectivement échoué à nous doter des outils nécessaires pour tirer les leçons de notre expérience.


Ce refus du bilan, nourri par une culture d’optimisme de façade, a conduit à exagérer systématiquement nos réussites et à minimiser nos échecs. À chaque virage, aucun vrai débat n'était ouvert, les changements étaient justifiés comme de simples ajustements tactiques et le manque de succès était expliqué comme la conséquence de “l’immaturité de la situation objective” ou de “la faiblesse du niveau de conscience”. Cette absence de méthode critique a empêché toute progression collective et a reproduit un aveuglement structurel qui empêche de penser la construction du parti de manière vivante.


Comment se refonder si nous refusons de discuter franchement de ce qui n’a pas fonctionné ? Comment prétendre à une direction politique si nous sommes incapables de tirer les leçons de nos défaites ? Le problème n’est pas seulement idéologique, il est aussi méthodologique : sans bilans clairs, sans confrontation lucide avec nos impasses, toute tentative de refondation sera vouée à l'échec.


Nous affirmons au contraire que les révolutionnaires doivent tirer les leçons de l’expérience, y compris de leurs propres échecs. Rompre suppose non seulement de rompre avec la stratégie d’adaptation au réformisme, mais aussi de poser comme principe politique le bilan critique, public et collectif. Sans cela, nous ne construirons jamais une organisation capable de s’ajuster aux réalités concrètes de la lutte de classe.


2. Intégrer les nouvelles avant-gardes 


Aujourd’hui, nous les voyons émerger dans les collectifs de travailleurs sans-papiers, les mobilisations féministes, antiracistes, antifascistes, queers, écologistes et anticoloniales notamment autour de la Palestine et du Congo. Autant de foyers où des secteurs du prolétariat se politisent et s’organisent même s’ils ne prennent pas les formes “classiques” attendues ou sont en rupture avec les appareils traditionnels du mouvement ouvrier.


Parce que ces luttes ne sont pas extérieures à notre classe, refonder une organisation révolutionnaire, c’est partir de cette réalité et non de notre vieux modèle figé de la conscience ou de la classe. Longtemps, notre courant les a regardés avec méfiance. Trop mouvantes, trop “petites bourgeoises”, trop éloignées du terrain socio-économique. On s’est souvent contenté d’y plaquer nos revendications, sans prendre la peine de comprendre ce qu’elles disaient, ni d’y construire une politique d’enracinement militant patient. Résultat : notre organisation a manqué des occasions concrètes de nouer des liens politiques profonds avec ces nouvelles couches en lutte. Elle a échoué à apparaître comme un outil pour les structurer et les unifier dans un projet commun.


On entend parfois que la conscience de classe ne se développe pas ou “reste très faible”. Mais cette affirmation repose sur une vision étroite, linéaire et homogène de la conscience, qui réduit la classe ouvrière à sa frange la plus stable, souvent blanche, masculine, syndiquée, nationale. Cette conception héritée de la tradition du CIO manque les processus concrets et inégaux de politisation, qui émergent dans et à partir des luttes contre les oppressions. Or la classe ouvrière n’a jamais été aussi nombreuse, ni aussi diverse : elle est mondialisée, précarisée, féminisée, racisée. Elle travaille dans l’industrie, la logistique, les soins, le nettoyage, l’éducation, les services ou le numérique souvent dans des conditions marquées par le racisme structurel, les frontières, les violences sexistes ou queerphobes, les guerres et le néocolonialisme. C’est cette réalité et non une classe ouvrière figée dans un modèle passé, que nous devons prendre comme point de départ. Refonder une organisation révolutionnaire, c’est partir de cette composition réelle pour construire une nouvelle hégémonie ouvrière.

Nous pensons l’hégémonie ouvrière du 21ème siècle comme la capacité de la classe ouvrière dans toute sa diversité à se penser, s’organiser et agir comme force dirigeante de l’ensemble des opprimé·es et exploité·es. Cela ne se décrète pas. Cela se construit, à partir de l’intervention concrète dans les luttes, en assumant les oppressions spécifiques non comme des détours, mais comme des points d’entrée dans la lutte de classes. C’est ce processus qui peut donner naissance à une nouvelle conscience de classe, forgée dans l’action, à travers les expériences partagées et les affrontements avec l’État et le capitalisme.


C’est aussi ce qui a cruellement manqué à notre courant historique qu’est le CIO. Sur les questions coloniales, l’internationalisme a trop souvent été réduit à des slogans abstraits, à utiliser de manière abstraite le droit à l’autodétermination des peuples ou pire à renvoyer dos-à-dos nations opprimées et les nations oppresseuses. En Palestine, notre organisation a donc hésité à soutenir incondictionnellement la lutte contre l’oppression sioniste, y compris armée, préférant des formulations prudentes pour ne pas heurter la sensibilité d’une classe ouvrière israélienne historiquement privilégiée. Résultat : nous avions une politique qui restait sourde à l’aspiration à la libération nationale et qui tournait le dos à des dizaines de milliers de jeunes pour qui la solidarité avec la Palestine est un acte de résistance ici et maintenant.


C’est à partir de cette réalité que nous devons reconstruire notre orientation. Une orientation capable de partir des luttes existantes, d’y intervenir organiquement et de relier ces combats à un projet commun d’émancipation communiste. L’hégémonie ouvrière doit donc se construire dans un travail patient et ancré qui assume la diversité de notre classe et en fait une force. C’est à cette tâche que nous voulons consacrer notre refondation. Cela suppose de rompre avec le regard surplombant hérité du CIO, qui considère la conscience de classe comme un palier à atteindre plutôt que comme un processus à construire. Cela suppose aussi de transformer notre propre organisation pour en faire un outil utile aux nouvelles avant-gardes, à l’écoute des dynamiques réelles, capable d’organiser, de politiser, d’unifier et de gagner.


3. Construire des fronts uniques offensifs 


Nous sommes convaincu.e.s que nous ne pouvons pas nous contenter d’analyser les luttes de l’extérieur, ni de distribuer quelques tracts-fleuves ou vendre quelques journaux à un stand. Si on veut peser sur la situation, on doit intervenir dans les mobilisations. C’est dans les grèves, les occupations, les manifs qu’on apprend vraiment à militer, qu’on construit des liens, qu’on éprouve nos idées. Ce sont des moments où la conscience de classe progresse à toute vitesse. Comme Lénine l’a conceptualisé, ce sont de véritables "écoles de guerre" où se forment non seulement les luttes, mais aussi celleux qui les portent, donc nos militant.e.s.


Cela veut dire, concrètement, que nos camarades doivent se former à intervenir politiquement dans ces processus, non pas comme des donneurs de leçons, mais comme des organisateurices. Être là où ça se passe, comprendre ce qui se joue, proposer un programme, aider à structurer le rapport de force, prendre des responsabilités avec humilité et exemplarité.


Nos revendications ne doivent pas être plaquées de l’extérieur. Il faut qu’elles partent des besoins réels, mais en montrant à chaque fois le lien avec une perspective plus large : celle du renversement du capitalisme. C’est ça, un programme de transition: relier les revendications immédiates à une perspective de prise de pouvoir. Et c’est aussi dans les luttes que ce programme peut se confronter au réel, se transmettre et se transformer.


Cette intervention active dans la lutte de classes doit s’accompagner d’une méthode: celle du front unique. Non pas comme alliance de sommets entre organisations, mais comme une pratique concrète d’unité d’action à partir de la base. Il s’agit de construire des cadres unitaires qui permettent aux secteurs les plus déterminés de notre classe de mener des luttes communes.


Des expériences comme Commune Colère, la Santé en Lutte ou la Coordination Antifasciste de Belgique ont montré qu’il est possible de construire de tels cadres dans la période récente. Ces espaces ne sont pas sans contradictions, problématiques et erreurs, mais ils montrent que lorsqu’on intervient avec régularité, sérieux et modestie, il est possible de peser dans les meilleures dynamiques des luttes de notre classe. Ces fenêtres politiques ont aussi permis à de nombreuses nouvelles personnes de se mettre en action, ralliant un public qu’on ne parvient pas à atteindre seul, mais aussi cela leur a permis de tirer par la pratique des leçons qu’on peine parfois même à reproduire dans nos publications.


Construire un front unique, ça veut dire chercher l’unité, mais pas au prix d’un consensus faible. Nous devons intervenir en tant que communistes révolutionnaires en assumant nos idées et nos propositions. Dans chaque lutte, nous devons chercher à poser les bonnes questions. Comment on décide ? Comment on organise ? Comment on gagne ? C’est dans les assemblées, les comités, les coordinations que cette bataille pour l’hégémonie des révolutionnaires se mène concrètement.


Il ne s’agit plus d’opposer front unique et construction du parti, mais de lier les deux. En intervenant dans les luttes réelles, en jouant un rôle moteur, en aidant l’auto-organisation, nous renforçons notre légitimité, nous formons nos camarades et nous rendons notre politique concrète. Le front unique devient alors un levier faisant émerger des directions issues de la classe elle-même capables d’entrer en confrontation avec le capitalisme.


Dans cette perspective, il faut discuter du PTB comme la principale référence à gauche pour une grande partie de l’avant-garde de notre classe. Il est décisif pour nous de ne pas l’ignorer. Nous ne croyons pas que l'alternative révolutionnaire puisse être construite dans un face-à-face propagandiste abstrait contre lui. Au contraire, il nous faut développer une tactique de front unique offensif qui saura articuler une véritable lutte commune tout en amenant les camarades du PTB à la conclusion de l’impasse politique du réformisme. Pour cela on doit dialoguer avec les secteurs combatifs de sa base, proposer des initiatives communes, combiner des appels publics à l’unité d’action et des interventions politiques directes dans les lieux où les militantes du PTB sont présentes.


Cela implique aussi de prendre au sérieux les contradictions internes qui traversent ce parti. Le PTB ne se résume donc pas à ses dirigeant.e.s, leur orientation réformiste et électoraliste ou encore leur refus d’entrer en conflit avec la bureaucratie syndicale. Il est aussi traversé par des militant·es sincères et parfois frustrées par les limites politiques de leur propre direction. En multipliant les initiatives concrètes de lutte nous pouvons créer des points d’appui réels pour un dialogue avec ces secteurs. Pas en cherchant à “récupérer”, mais en construisant un parti révolutionnaire qui soit identifiable, visible et capable d’entrer en résonance avec les éléments les plus combatifs du PTB. C’est dans cette confiance et ces discussions forgées dans la lutte battante qu’on peut alors confronter les programmes et les stratégies. Commune Colère, l’antifascisme et les occupations pour la Palestine ont d’ailleurs été d’excellents exemples de luttes où l’on retrouve des membres PTB mais où l’on parvient à illustrer certaines limites du réformisme de leur direction. Dans ce dialogue, on a aussi la responsabilité de confronter politiquement les idées du PTB. Notre journal peut être un outil utile pour cela à condition de le faire sans mépris, sans arrogance pour rester audibles auprès de celles et ceux qui voient dans le PTB une référence.


Mais pour que tout cela fonctionne, encore faut-il que notre propre organisation soit à la hauteur. Trop souvent, les camarades engagé.e.s dans une mobilisation sur leur université, sur leur lieu de travail ou dans un front se retrouvent seul.e.s à en porter tout le poids : rédiger les tracts et articles, organiser les actions, gérer la communication etc. pendant que l’organisation reste spectatrice ou en soutien lointain avec une visite de un ou deux vendeurs de journaux. Nous devons rompre avec cette logique et nous ne pouvons plus nous permettre de fonctionner ainsi. Il faut que, dès qu’un conflit important ou un front de lutte s’ouvre, le parti tout entier se mobilise pour le soutenir, l’amplifier, le structurer.


Concrètement, ça veut dire discuter dans toutes les structures du parti de la stratégie à mener, de proposer du matériel, de renforcer les piquets-actions, de relayer les appels, de soutenir les caisses de grèves, d’envoyer des militant.e.s, bref de donner du temps à la lutte. Une lutte ne se gagne pas seule et une organisation qui ne se met pas au service des combats de sa classe ne peut pas espérer être utile à quoi ou à qui que ce soit. Notre objectif ne doit pas être seulement de soutenir des luttes de manière ponctuelle, mais de construire des bastions révolutionnaires là où c’est possible : des lieux de vie et de travail du prolétariat où notre orientation est soutenue et qui peut faire école pour d’autres secteurs. Dans les entreprises, les écoles, les hôpitaux ou ailleurs, ces bastions peuvent devenir des points d’appui pour faire vivre une implantation révolutionnaire dans la durée.


Ce qu’on construit dans ces moments-là, ce n’est pas seulement un rapport de force immédiat. C’est une organisation qui apprend, qui s’enracine, qui forme ses membres, qui se lie à de nouvelles avant gardes. C’est là, dans le feu de l’action, que notre politique communiste peut devenir une force vivante.


4. Reprendre nos syndicats ! 


L’intervention dans les syndicats reste un levier central pour les révolutionnaires. C’est là que se concentre une grande partie de notre classe, même si les appareils syndicaux sont traversés par de fortes contradictions. À l’heure où les confédérations syndicales conservent une implantation massive, refuser de s’y engager reviendrait à abandonner le terrain à la bureaucratie et aux courants réformistes. Mais y être présent.e.s ne suffit pas : il faut y défendre une ligne tournée vers l’auto-organisation, la lutte de classes, et l’affrontement avec les logiques de collaboration.


Cela suppose de rompre avec la routine syndicale et une concertation sociale devenue, dans les faits, un cadre de désarmement. Non pas parce qu’il faudrait refuser toute conquête partielle ou tout accord social, mais parce qu’aucun acquis ne peut être durable sans rapport de force. L’adaptation à la cogestion a étouffé la combativité, a affaibli les mobilisations et a transformé le syndicat en rouage de stabilisation du système, plutôt qu’en outil de lutte. Reprendre l’initiative implique de remettre au centre une pratique de syndicalistes révolutionnaires: l’auto-organisation des grèves, la contestation des décisions venues d’en haut, la généralisation des assemblées de base, des comités de grève élus et révocables, des coordinations interprofessionnelles,...


La réalité et un de nos problèmes est que notre pratique actuelle reste très éloignée de ces objectifs. Beaucoup de camarades sont très investi.e.s syndicalement. Mais ce travail reste souvent individuel, peu visible dans l’organisation, rarement discuté collectivement. Il n’existe pas de réel espace où débattre de notre orientation syndicale, partager des expériences, identifier les fronts possibles, poser des bilans ou formuler des mots d’ordre. En dehors de rares exceptions sectorielles, les discussions se limitent à des échanges isolés ou à des appels ponctuels avec un permanent du parti qui pour la plupart n’ont aucune expérience de travail syndical et ouvrier. Et lorsqu’un·e camarade initie une lutte, on attend trop souvent qu’iel assure seule toute la charge militante : coordination, diffusion, rédaction d’articles, communication avec l’organisation…


Ce manque de structuration produit des effets délétères. D’un côté, nous ne savons pas réellement ce que font nos camarades sur leur lieu de travail. Mènent-ils un travail de terrain offensif ? Subissent ils la pression de l’appareil syndical ? Sont-ils isolés ? De l’autre, faute de soutien collectif, ces camarades risquent de s’adapter à une version de gauche du syndicalisme de concertation ou de se décourager, voir les deux. Enfin, le manque de discussion sur le rôle des marxistes révolutionnaires sur le lieu de travail ou dans les syndicats a généré avec les années de grandes divergences dans les approches. Notre parti, bien que donnant une importance prépondérante au socio-économique, n’a paradoxalement jamais développé d’orientation collective cohérente sur les questions liées au lieu de travail.


Reprendre nos syndicats, cela commence donc par réarmer notre propre intervention. Cela suppose de cartographier notre présence syndicale, d’échanger collectivement dans le parti sur les luttes en cours, d’y envoyer des forces militantes lorsqu’une mobilisation s’engage. Cela nécessite d’élaborer collectivement des perspectives sur les secteurs où nos membres sont actifs ainsi qu’une analyse de la classe ouvrière y comprit à échelle locale. Cela suppose aussi de construire des outils spécifiques : matériel d’agitation, vidéos, tracts, affiches, interventions ciblées en congrès syndical ou dans des instances, renforts aux piquets… Rien de cela ne peut être improvisé. Si nous voulons peser dans les syndicats, il nous faut une réelle pensée collective et non pas seulement une addition d’engagements individuels.


Les syndicats restent aussi largement absents des luttes contre les oppressions. Racisme, sexisme, LGBTQIphobie, écologie, Palestine, Congo: ces questions sont souvent étouffées, sauf quand des équipes militantes les imposent par le bas. Les VSS, en particulier, sont trop souvent passées sous silence ou renvoyées aux directions d’entreprise, alors qu’elles relèvent clairement du champ syndical. Nos délégué·es doivent refuser cette délégation patronale et imposer que les VSS en entreprise soient traitées uniquement par des structures indépendantes issues de la classe ouvrière. Nous devons agir comme des tribuns du peuple9, politiser ces réalités, les relier à la lutte de classe et en faire des leviers d’organisation. Reprendre nos syndicats, c’est aussi en faire des outils de combat contre toutes les oppressions.


Pour cela il est indispensable de construire des fractions révolutionnaires, en discussion permanente avec les autres courants révolutionnaires dans les syndicats, capables de porter une ligne cohérente, combative et indépendante de la bureaucratie. Elles doivent être capables de se coordonner, d’élaborer ensemble, de porter une ligne offensive face à la bureaucratie et d’intervenir comme minorité organisée dans les syndicats. Enfin, ces regroupements militants doivent articuler l’intervention quotidienne avec une perspective plus large: celle d’un syndicalisme politique, refusant la séparation imposée entre le social et le politique, entre la lutte économique et l’enjeu du pouvoir. Repolitiser les syndicats c’est reconstruire en leur sein une culture de lutte de classes, d’internationalisme et de solidarité active avec toutes les résistances aux oppressions.


5. Combattre les oppressions partout ! 


Contrairement à ce que nous avons longtemps défendu, le sexisme, le racisme et les autres formes d’oppression ne disparaissent pas automatiquement par la seule participation à la lutte des classes : ces oppressions doivent être combattues au quotidien, y compris dans notre organisation. Dans la tradition du CIO, les expériences d’oppressions sont renvoyées à la subjectivité ou au comportement individuel et les revendications spécifiques sont vues comme fragmentaires ou identitaires. Cette vision a nourri une culture militante où les violences sexistes, racistes ou autoritaires ont trop souvent été tolérées, minimisées ou traitées comme de simples conflits interpersonnels.


Nous affirmons aujourd’hui que la lutte contre les oppressions ne peut être subordonnée à une vision mécaniste de “conscientisation” automatique par la lutte sociale et économique: elle doit devenir une composante à part entière du projet révolutionnaire. Cela implique de placer les expériences vécues d’oppression au cœur de notre compréhension de la classe ouvrière contemporaine, en intégrant les subjectivités issues des luttes féministes, LGBTQIA+, antiracistes ou queer comme autant de leviers pour construire, comme nous l’avons écrit plus haut, une nouvelle conscience de classe du 21ème siècle.


Dans notre pratique militante, nos membres ont plusieurs fois été confronté.e.s à devoir utiliser des revendications en décalage avec le niveau de conscience au sein du mouvement. Plutôt que d’adopter une méthode attentive d’écoute et de politisation des contradictions du mouvement réel, cette culture de repli sur soi et de croyance d’être la “seule et véritable organisation révolutionnaire” a généré une tendance à ne pas (suffisamment) écouter les revendications issues du mouvement et à imposer un programme qui ne pouvait être que “meilleur” puisque pensé par des marxistes et de surcroît les “meilleurs marxistes qu’il soit”.


ROSA incarne pleinement cette contradiction. Face à la quatrième vague féministe, des sections du CIO ont initié les campagnes ROSA en Belgique et en Irlande, revendiquant un féminisme socialiste pour répondre aux mobilisations en développement. Toutefois, au lieu d’en faire un outil vivant d’émancipation féministe révolutionnaire, une couche dirigeante de l’organisation a tenté de l’instrumentaliser comme un levier opportuniste de recrutement. ROSA a ainsi été réduite à un rôle de vitrine, limitant son potentiel de développement et la coupant progressivement des jeunes femmes en voie de radicalisation. Cette contradiction a révélé un fossé entre le programme affiché de ROSA et la réalité interne du PSL, marquée par une culture bureaucratique et autoritaire où les décisions restaient concentrées entre les mains d’une direction majoritairement masculine, cis et blanche.


Les militant.e.s engagé.e.s dans ROSA se retrouvaient ainsi à défendre un féminisme combatif en externe, tout en subissant en interne des structures de pouvoir ossifiées, hostiles à une réelle remise en cause du sexisme au sein de l’organisation. En conséquence, après plusieurs années de succès initiaux, ROSA a perdu en crédibilité auprès des militant.es les plus critiques, qui y ont vu un obstacle plutôt qu’un vecteur de transformation du réel.

Ce recul n’était pas inévitable. Il révèle l’impasse d’une méthode où les luttes féministes sont utilisées comme tremplin organisationnel plutôt qu’assumées comme un terrain d’accumulation de forces révolutionnaires. Au lieu de développer un outil féministe marxiste vivant et autonome, capable d’articuler les oppressions aux luttes de la classe ouvrière, ROSA a souvent été cantonnée à un rôle d’image, sans transformation de notre culture interne ni lien organique avec les luttes féministes radicales (même si des nuances existent selon les districts).


Les campagnes contre Jeff Hoeyberghs, Pride is a Protest/Reclaim Pride et, plus récemment, contre le génocide en Palestine ont démontré que ROSA pouvait agir autrement : de manière plus audacieuse, intégrée aux mouvements, articulant féminisme, anti-impérialisme et lutte révolutionnaire. Ces exemples montrent qu’un autre usage de ROSA est possible, mais ils doivent devenir la norme et non rester des exceptions. Cela suppose une transformation profonde du rapport entre direction politique, autonomie militante et articulation aux mouvements réels.


Les rapports entre ROSA et le PSL souffrent en effet de défauts structurels persistants. Que ce soit dans la gestion des espaces (bureau femmes et minorités de genre, réunions ROSA, groupes de travail) ou dans le travail militant quotidien (rédaction, finances, mobilisation), de nombreux.ses camarades dénoncent une approche encore trop intrusive du PSL. La manière dont nous organisons notre travail de bannière (que ce soit pour EGA, ROSA, etc.) a été soulevée à plusieurs reprises sans qu’aucune discussion ou décision collective ne soit prise. Ces logiques centralisées et rigides du parti se reproduisent au sein de ROSA.


Ce déséquilibre structurel empêche ROSA de devenir un véritable outil d’auto-organisation. Plutôt que de contenir cette dynamique dans un cadre vertical, nous devons créer les conditions d’une autonomie politique, organisationnelle et pratique réelle. Il ne s’agit pas de séparer, mais de construire un rapport dialectique : un front féministe révolutionnaire capable de définir ses priorités, ses formes d’intervention, ses espaces, ses temporalités propres, tout en s’articulant à un programme socialiste commun.


Nous reconnaissons que des mesures comme les formations, l’adaptation du code de conduite ou le recentrage sur le féminisme socialiste sont nécessaires, mais elles sont loin d’être suffisantes. Notre problème avec les oppressions n’est pas conjoncturel : il est stratégique et structurel.


Un véritable processus de transformation passera par des mesures concrètes (notamment une CPAGP renforcée et spécialisée, un code de conduite revu sur base des expériences récentes et connu de toustes), mais aussi par un changement d’état d’esprit collectif, fondé sur la reconnaissance et le refus de la banalisation des oppressions. Cela implique un effort actif pour favoriser la participation des camarades les plus marginalisé·es. Il faut aussi appliquer les propositions déjà formulées dans la partie “Comment aller de l'avant” de la Résolution sur la sauvegarde, la culture interne et la lutte contre l'oppression.


La sous-estimation historique de cas de safeguarding et la protection principielle de camarades dirigeants aux comportements inadaptés ont légitimement provoqué une exigence de rupture. Mais ces derniers mois, nous avons vu des camarades exclu·es de certaines rédactions de textes ou discussions internes. Même si cela s’explique en partie par la surcharge actuelle de la CPAGP, le recours à l’exclusion rapide d’espace démocratique comme solution de sécurité est devenu trop fréquent. Nous ne partageons pas cette logique, surtout lorsqu’elle est appliquée dans l’urgence de la crise de notre parti.


Pour dépasser cette urgence et les défauts de nos procédures actuelles, nous plaidons pour des mesures réversibles. Elles doivent garantir un cadre sûr et inclusif, tout en permettant aux membres en cours de procédure de contribuer politiquement. Cela pourrait inclure : une suspension de vote sans exclusion des débats ; la multiplication d’espaces de travail distincts ; ou encore une cogestion de mandat pour éviter les positions incontournables. Les cas graves appellent un traitement plus cadré, mais ce texte ne prétend pas les régler.

Le safeguarding est un outil essentiel, mais il ne doit jamais se substituer au débat politique. Là où il traite des comportements et des violences, l’organisation doit en parallèle interroger les rapports de pouvoir et les désaccords politiques profonds qui rendent ces violences possibles. Le safeguarding doit garantir un cadre de débat sain, sans interrompre les discussions politiques. Nous devons mener ces débats de fond sur le féminisme socialiste, même si cela devait mener à la reconnaissance qu’un cadre commun d’organisation n’est plus tenable.

Nous alertons contre une illusion : croire qu’un simple rebranding féministe socialiste avec un discours plus radical ou plus inclusif suffirait pour une transformation réelle. Nous avons besoin d’une refondation stratégique : ancrer profondément notre pratique dans les réalités, les rythmes et les subjectivités des secteurs féminisés du prolétariat, celles qui sont en première ligne dans la santé, l’éducation, le nettoyage, la précarité ou les luttes contre les violences sexistes et sexuelles. C’est là que se recomposent des forces, des colères et des espoirs capables de nourrir un féminisme marxiste de combat.


Nous posons donc une question centrale : de quelle politique de safeguarding voulons-nous être porteur.euse.s ? D’une approche émancipatrice, collective, intégrée aux objectifs politiques de transformation des rapports sociaux ? Ou d’un dispositif technocratique, individualisé, potentiellement instrumentalisable ? Nous affirmons que notre approche doit reposer sur les principes de la justice transformatrice : une méthode politique, collective, anti-hiérarchique et émancipatrice qui vise à transformer les conditions structurelles de la violence plutôt que de simplement en gérer les symptômes.


Et nous posons une autre question centrale: s’agit-il seulement de renforcer notre profil féministe et de nous proclamer “plus féministes socialistes” que les autres courants ? Ou bien de construire un féminisme marxiste vivant et révolutionnaire porté par des camarades ancré·es dans les luttes concrètes, capable de produire des cadres d’organisation, d’élaboration et d’action à la hauteur de la radicalité de notre époque ? Nous défendons cette seconde orientation : un féminisme marxiste qui ne soit ni une vitrine, ni un outil d’image ou de recrutement, mais un élément central pour recomposer l’avant-garde, impulser des formes d’auto-organisation et transformer profondément nos pratiques militantes.


6. Refonder un parti vivant, démocratique et inclusif 


S’il y a bien un domaine où les contradictions de notre organisation se font particulièrement sentir, c’est dans son mode de fonctionnement interne. Trop de camarades ont quitté le parti ou se sont mis.es en retrait, non pas pour des raisons purement personnelles, mais parce qu’iels ne trouvaient plus leur place. Parce que la parole critique était perçue comme une menace. Parce que les tensions politiques étaient gérées à huis clos. Parce que les oppressions sexistes, racistes, queerphobes étaient minimisées, banalisées comme de simples "malaises" ou réduites à des "problèmes de forme".


Et pourtant, nous l’avons appris dans nos luttes, nos lectures, nos pratiques : un parti révolutionnaire ne peut pas dénoncer les oppressions à l’extérieur tout en les tolérant à l’intérieur. Il ne peut pas appeler à la démocratie des masses tout en centralisant les décisions entre quelques mains. Il ne peut pas parler de libération si le pouvoir, la parole et la reconnaissance restent l’apanage d’une minorité homogène. Ce que nous proposons ici, c’est de refonder un cadre organisationnel cohérent avec notre projet révolutionnaire. Une culture politique où les débats sont vivants, où les désaccords sont légitimes et où l’on lutte activement contre les oppressions.


Une organisation marxiste révolutionnaire doit s’appuyer sur un centralisme démocratique réel, garantissant l’unité d’action sans sacrifier la liberté de débat. Or, trop souvent, des réflexes bureaucratiques et sectaires ont pris le dessus, concentrant le pouvoir dans les mains de quelques cadres, étouffant ou disqualifiant les divergences. Nous défendons au contraire la transparence des débats, la diffusion systématique des décisions et un fonctionnement collégial. Rompre avec le sectarisme, c’est construire une culture du débat vivant, où les oppositions peuvent s’exprimer sans peur, où l’autocritique est encouragée, où la pluralité des tactiques est vue comme une force, non comme une faiblesse.


Nous voulons une direction comprenant des camarades engagé.e.s dans les mobilisations syndicales, féministes, antiracistes, écologistes, etc. Le Comité National doit se réunir plus souvent pour analyser ensemble la dynamique de la lutte de classes et décider des orientations. Nous voulons un CN qui discute des luttes en cours, de nos initiatives, de notre stratégie collective, des fronts dans lesquels nous sommes impliqué.e.s et non pas un CN qui débat comme un club de discussion où chaque membre partage son analyse des derniers articles de la presse patronale ou de son petit rapport sur son travail personnel des dernières semaines.


Les discussions et décisions prises au sein des organes de direction doivent donner lieu à des circulaires internes, documents d’orientation, motions et résolutions diffusés à l’ensemble des membres, afin de garantir la transparence et le contrôle de la direction par les membres. La direction doit refléter la réalité de notre intervention : elle ne peut pas être composée uniquement de camarades “institutionnels” ou coupés de l’intervention concrète. Nous devons également veiller à ce qu’elle soit féminisée, diversifiée, et ouverte aux nouvelles générations. Il est également primordial d’accorder une attention à la diversité socio-économique de notre direction. Cette dernière ne peut se composer uniquement d’universitaires et doit inclure une part non négligeable d’ouvrier.e.s ou équivalent.e.s. Cela signifie chercher des solutions matérielles pour impliquer ces membres qui, par leurs horaires de travail, le manque de crèche ou la précarité, auraient une plus grande difficulté à s’impliquer dans la direction que d’autres couches.


Nous constatons que le parti a organisé une forme de déconnexion de notre base militante des tâches politiques nationales fondamentales. Le modèle de direction composé de permanent.e.s, parfois à vie, engagé sur toutes les tâches (direction nationale, bannières, finances, publications, relais internationaux,...) a mené à un véritable sous-investissement des camarades non-permanent.e.s. La situation catastrophique de substitutionnalisme qui est aujourd’hui largement reconnue est la conséquence directe de la construction d’un appareil disproportionné et piloté par le haut. Cette dynamique laisse systématiquement la place aux permanent.e.s de reproduire un schéma de parti dont iels sont financièrement dépendant.e.s.


Rompre avec ces pratiques exige une refonte radicale de notre modèle de fonctionnement. Nous devons viser un appareil réduit, au service de l’intervention et non de la reproduction de sa propre autorité. Cela signifie construire une direction composée majoritairement de militant·e·s non permanent·e·s, faire tourner les responsabilités, limiter les postes à temps plein, privilégier des fonctions à mi-temps ou tiers-temps strictement limitées et contrôlées collectivement par l’organisation. Les permanent·e·s ne doivent pas constituer l’ossature de la direction nationale (BE ou CN). Leur mission devrait être recentrée sur le soutien concret aux camarades en lutte : aider à construire des campagnes, à élaborer des stratégies locales, à rédiger du matériel, à organiser la solidarité financière, plutôt que siéger en continu dans les instances dirigeantes du parti.


7. Apprendre, militer, durer : la joie comme méthode ! 


Nous ne devons plus fétichiser la “section locale/géographique” comme unique forme d’implantation issue aussi de notre héritage politique en adaptation aux structures des organisations de masse réformistes. Dans plusieurs villes, cette structure a cessé d’être un cadre pertinent. À la place, nous proposons de développer des sections qui partent des dynamiques concrètes de la lutte de classes.


Ces sections doivent être construites autour des branches de travail et des secteurs ouvriers où existent des possibilités réelles d’intervention, là où notre classe s’organise et se mobilise. Il s’agit de faire reposer notre construction sur les secteurs les plus stratégiques du prolétariat, en identifiant là où des résistances émergent, où nos militant.e.s peuvent s’implanter, où des bastions révolutionnaires peuvent être développés.


Cela suppose une réflexion régulière dans chaque district pour identifier quels secteurs, quels lieux de travail, quelles mobilisations offrent aujourd’hui des perspectives de construction révolutionnaire. Cette orientation vise à lier beaucoup plus étroitement notre activité militante aux réalités matérielles de la classe ouvrière contemporaine, en la reconnectant aux lieux de production, de services, de soin, d’éducation ou de logistique où se jouent des batailles décisives.


C’est à cette condition que nous pourrons passer d’une organisation tournée vers elle-même à une organisation enracinée dans la lutte de classes réelle, capable d’influencer, de structurer et de porter les combats de notre classe.


Pour accompagner cette pratique d’ancrage dans la classe, il est nécessaire d’adapter notre organisation aux rythmes et aux besoins des camarades. Nous devons permettre à chacune de trouver une place dans la construction, en créant des statuts souples et inclusifs qui favorisent l’engagement progressif et l’intégration durable. En ce sens, il s’agirait d’introduire un statut d’ “aspirant.e” pour toute personne désireuse de se former et de choisir en connaissance de cause son degré d’implication avant de devenir membre à part entière. Enfin renforcer un statut de sympathisant·e permettant à celles et ceux qui soutiennent politiquement le PSL ou une partie de son programme, mais qui ne peuvent s’y investir pleinement, de garder un lien structuré avec l’organisation. Ce statut pourra aussi être proposé aux camarades qui souhaitent prendre du recul temporairement sans rompre politiquement.


Dans cette même idée, nous devons fondamentalement revoir notre modèle de formation des cadres. Les discussions individuelles ont créé une situation de développement inégal des membres en sélectionnant quelques “élu.e.s” qui seront fidélisé.e.s auprès de la direction. Cette dynamique a non seulement joué un rôle dans la crise de safeguarding que l’on a connue et la crise du renouvellement de la direction mais organisait aussi une absence de formations collectives et de moments de bilan collectifs, locaux et nationaux (ceux-ci se faisant plutôt en bureau fermé). Cette tradition qu'on avait d’envoyer rapidement au national les “meilleurs” aspirants-cadres avait pour conséquence qu’on accumulait assez peu d'expérience dans les différents fronts de l’activité, puisque les tâches de district étaient bâclées ou abandonnées alors que la direction nationale se déconnectait progressivement de l'activité. Dans ce sens, nous défendons un cycle de formations identique, collectif et régulier pour chaque nouveau.elle “aspirant.e” de l’organisation.


Nous souhaitons rompre avec la culture du sacrifice et de la course effrénée à la “performance militante”. Nous devons prendre au sérieux les nombreux burn-out que le parti n’a pu empêcher, voire a causés, ainsi que les nombreux retours de camarades inquiet.ètes pour leur santé mentale, physique et leur équilibre personnel. L’idée est d’instituer un cycle de formation régulier, permettant à chaque nouvel arrivant de se familiariser avec les bases du marxisme révolutionnaire, l’histoire du mouvement ouvrier et la construction du parti. Nous voulons valoriser toutes les compétences (rédaction, graphisme, logistique, organisation d’événements, actions directes…) et offrir un cadre où l’on milite selon ses possibilités, sans culpabilisation ni épuisement. L’objectif est de construire un parti vivant, où la convivialité, l’entraide et la créativité deviennent le carburant d’une lutte de longue haleine contre l’exploitation et les oppressions.


Concrètement, ça veut dire prévoir des babysittings pendant les réunions, des horaires adaptés pour les travailleuses en postpartum, des lieux accessibles pour les camarades en situation de handicap,... Ça veut aussi dire organiser les tâches à plusieurs, proposer des formats en ligne, permettre des pauses sans couper le lien. Le parti doit devenir une organisation qui est à l’écoute, qui s’adapte au mieux à ses membres. Trop de camarades s’épuisent ou s’éloignent faute de ces aménagements. Mais cela ne remet pas en cause l’idée d’un militantisme révolutionnaire rigoureux, tel que l’a pensé Lénine. Il ne s’agit pas de renoncer à l’organisation, à la discipline collective ou à l’engagement, mais de les rendre soutenables et profondément ancrés dans les réalités vécues. Un parti révolutionnaire n’est pas un club intellectuel ou un réseau informel : c’est une organisation de combat. Mais pour tenir sur la durée, il doit être habitable. Adapter notre fonctionnement, c’est permettre à toutes et tous y compris les plus précaires et les plus opprimé·es de s’engager pleinement dans la lutte. C’est ainsi que nous pourrons renouer avec sa fonction d’organisateur collectif. Un parti révolutionnaire doit partir des réalités concrètes de notre classe. C’est ainsi que nous pourrons renouer avec l’esprit du centralisme démocratique vivant, où l’unité d’action repose sur la conviction partagée et la capacité de chacune et chacun à y contribuer à hauteur de ses forces.


8. Devenir un parti-média : une Iskra 2.0 


À l’image de ce que Lénine appelait un « organisateur collectif », le journal ne peut se limiter à la diffusion d’idées ou à la simple expression propagandiste d’un point de vue révolutionnaire. Il doit être un outil central de structuration, de mobilisation et de liaison avec les luttes de notre classe. En dénonçant l’arbitraire du système capitaliste, les oppressions qu’il génère, en rendant visibles les résistances et en clarifiant les enjeux de pouvoir, il contribue à forger la conscience du prolétariat et à dresser un tableau cohérent de la société que nous voulons renverser. Il doit ainsi permettre d’organiser les militant·es en lien vivant avec les combats et les préoccupations du prolétariat.


Dans le contexte du XXIᵉ siècle, marqué par la fragmentation de l’information, l’instantanéité imposée par le web 2.0, et la bataille idéologique permanente sur les réseaux, nous avons besoin d’une Iskra 2.0 : une presse révolutionnaire qui soit à la fois réactive, populaire, ancrée dans les luttes et capable de proposer des analyses. Cela implique de penser le journal non comme un simple périodique imprimé, mais comme une plateforme multimédia vivante, combinant articles, vidéos, podcasts, interventions publiques, formats courts et longs, infographies et récits militants. Un tel outil peut devenir un média alternatif reconnu, capable de rivaliser avec les récits dominants de la bourgeoisie ou à tout le moins un vecteur d’organisation et de conscience pour les secteurs les plus combatifs.


On a développé cette idée du journal léniniste réactualisé dans notre texte Lutte et Refondation d’octobre 2024. On y revient plus longuement sur ce que pourrait être un véritable parti-média.


9. Regrouper les courants révolutionnaires par la base 


Nous voulons poser les bases d’un regroupement des ailes révolutionnaires issues du trotskysme, mais aussi, plus largement, de celles et ceux qui rejettent à la fois l’adaptation au réformisme et l’enfermement sectaire dans de micro-appareils. Cette perspective rompt avec l’idée que chaque groupe pourrait, à lui seul, se proclamer «futur parti de la révolution » ou détenir la “vraie méthode marxiste”. À l’inverse, nous constatons un foisonnement de courants, de collectifs, de nouvelles initiatives radicales qui font des bilans critiques et cherchent à réactualiser le marxisme révolutionnaire.


C’est dans cette optique qu’il faut rompre avec notre tendance passée à l’auto-proclamation sectaire. Souvent, nous avons négligé ou méprisé d’autres courants, considérant qu’ils avaient forcément “tout faux” et que nous seuls avions la stratégie correcte. En plus, les années passant, nous avons eu tendance à continuer à répéter les mêmes critiques alors que certaines de ces organisations ont vécu des processus vivants de recomposition, de rectification politique,... Or, sans renoncer à nos propres positions, nous pouvons confronter celles-ci dans un dialogue réel, basé à la fois sur l’intervention commune dans les luttes et sur un effort partagé pour tirer collectivement les leçons des grands événements de la lutte de classes, à travers l’échange de bilans et la clarification programmatique.


Il ne s’agit évidemment pas d’exiger une fusion dans un “parti trotskyste unifié” du jour au lendemain, mais de poser les jalons d’une recomposition révolutionnaire où l’unité ne se fera ni sur des compromis de sommet, ni sur un alignement artificiel, mais sur une dynamique commune de confrontation politique fraternelle et de lutte partagée.


C’est dans cet esprit que nous proposons d’ouvrir des discussions franches avec d’autres courants se réclamant du marxisme révolutionnaire (comme la Gauche Anticapitaliste, l’Organisation Communiste Révolutionnaire ou Lutte Ouvrière) et, tout particulièrement, avec Révolution Permanente (RP), vu sa dynamique et notre proximité politique sur la centralité du prolétariat et la prise en compte des oppressions comme un élément constitutif de la lutte des classes de notre époque. Sa capacité à s’enraciner dans les secteurs en mouvement, à faire émerger une nouvelle génération militante et à porter une orientation de front unique offensive en fait un interlocuteur avec lequel nous avons des convergences fortes. La Fraction Trotskyste - Quatrième Internationale (FT QI), à laquelle appartient RP, s’est elle-même lancée dans un travail conséquent d’auto-critique de ses racines morénistes, au point de rompre avec sa tradition. Nous pensons qu’il y a là une méthode intéressante : reconnaître lucidement les erreurs passées et s’en émanciper.


Nous souhaitons donc organiser, publiquement et fraternellement, des débats politiques avec toutes les forces se revendiquant d’une orientation révolutionnaire, afin de clarifier les convergences, les divergences et de poser ensemble les bases d’un processus commun. Cela implique de rompre avec la logique sectaire consistant à ne discuter qu’avec les organisations jugées “suffisamment bonnes politiquement”, une pratique qui, dans les faits, revient souvent à ne discuter avec personne. Cette approche alimente un entre-soi stérile, hérité du CIO, qui empêche toute refondation réelle. À l’inverse, c’est en confrontant nos idées, en nous frottant aux trajectoires militantes d’autres courants, que nous pourrons construire des ponts, ouvrir des brèches et faire bouger les lignes.

Certaines organisations ont, comme la nôtre, connu des échecs graves dans la prise en charge des VSS, racistes ou autoritaires. Il ne s’agit pas d’ignorer ou de minimiser ces réalités, mais d’assumer qu’aucune organisation n’est à l’abri et que la lutte contre les oppressions internes exige des bilans, des remises en question et des clarifications politiques. Refuser tout échange reviendrait à considérer qu’une organisation est, par nature, irréprochable. Une illusion que nos propres erreurs ont clairement démentie.


Nous pensons que prendre au sérieux les oppressions internes implique de défendre des principes fermes, tout en restant capables de dialoguer avec d’autres. Pas pour couvrir des pratiques inacceptables, mais pour créer les conditions d’un affrontement politique clair, et, si possible, d’un dépassement collectif des insuffisances. Ce n’est qu’à cette condition qu’une véritable transformation sur le safeguarding peut avoir lieu.


Dans cette perspective, nous avançons l’idée d’un réseau inter-organisations de discussion et d’entraide sur la gestion des oppressions, à condition qu’il repose sur un socle politique commun : refus de l’impunité, culture du bilan, mise en commun des expériences et ancrage dans une perspective d’émancipation révolutionnaire. Un tel cadre ne peut être purement technique : il doit permettre de tirer les leçons des fautes passées, d’améliorer collectivement nos structures et de renforcer les capacités d’accueil, de protection et d’action des organisations révolutionnaires dans la durée.


10. Bâtir une Internationale révolutionnaire pour le XXIᵉ siècle 


Depuis sa création en août 2024, la nature du Project for a Revolutionary Marxist International (PRMI) est restée floue pour de nombreux camarades. Si ce projet suscite des attentes légitimes, il continue de fonctionner sans leçons pratiques des deux dernières scissions, sans orientations politiques claires et sans discussion de fond sur sa direction. Le risque est grand de voir la PRMI se transformer en une reconstitution réduite de l’appareil du CIO/ISA, sous un autre nom et profil, mais avec les mêmes méthodes, les mêmes silences, les mêmes routines. Mais une internationale ne peut naître d’une continuité mécanique. Elle ne se fonde pas sur la mémoire d’un appareil, mais sur une volonté de rupture, d’élaboration collective et d’ancrage dans le réel.


Trotsky concevait la IVᵉ Internationale comme un processus vivant, pas comme le prolongement d’un groupe. Les bolcheviks-léninistes se présentaient comme une fraction de l’Internationale en construction ouverte aux autres courants révolutionnaires. Leur objectif était de reconstruire, dans la clarté programmatique, une direction unifiée du prolétariat mondial. C’est cette méthode que nous voulons retrouver aujourd’hui : une construction par le bas, militante, enracinée dans l’expérience et les luttes, fondée sur des bilans sincères et des confrontations fraternelles. Cela signifie que la PRMI ne peut être un simple rassemblement d’ex-sections du CIO/ASI. Elle doit s’ouvrir à d’autres traditions, à d’autres organisations, à d’autres trajectoires militantes.


Nous ne perdons pas de vue l’urgence de reconstruire une Internationale révolutionnaire à l’échelle mondiale. Mais cela ne peut se faire par proclamation. Avant d’unifier, il faut tirer les bilans : bilans inachevés, héritages stratégiques confus, dérives bureaucratiques ou opportunistes. Cette clarification est indispensable, d’autant que la situation internationale connaît une accélération brutale. Guerres, régimes autoritaires, génocides, crise écologique : jamais l’internationalisme n’a été aussi vital. Il ne peut rester un principe abstrait, mais doit devenir une pratique concrète capable de renforcer les organisations révolutionnaires, de confronter les expériences et de construire les partis dont notre époque a besoin.


Dans cette optique, nous devons rompre avec la vision sectaire et routinière de l’internationalisme héritée de la tradition du CIO/ISA. Trop souvent, celui-ci s’est limité à des actions symboliques devant les ambassades ou à des campagnes de soutien financier strictement au bénéfice de nos organisations-soeurs. Cette conception restreinte a réduit l’internationalisme à une solidarité d’appareil, sans lien réel avec les combats de notre classe à l’échelle mondiale. En tant que parti internationaliste, il faut sortir de notre entre-soi : organiser des interventions internationale là où la classe mène des batailles historiques, peu importe si on y dispose de sections nationales ou pas, organiser des rencontres avec les féministes ou antifascistes réprimé.es dans leur pays, signer des appels de soutien hors de nos propres rangs,…


Nous voulons au contraire promouvoir un internationalisme prolétarien, ancré dans les luttes et les résistances concrètes. Cela implique de s’appuyer sur les secteurs organisés du prolétariat capables d’agir contre les politiques impérialistes, ici et maintenant. Le refus des syndicats belges des transports et de la manutention de livrer des armes à Israël ou encore le soutien de la CGSP ALR de Bruxelles aux grévistes de l’hôpital Beaujon en France montrent la voie d’un internationalisme ouvrier concret. De telles actions doivent devenir un axe principal : nos camarades doivent chercher à les initier, les relayer, les organiser dans leurs secteurs.


Enfin, repenser l’internationalisme, c’est aussi refuser qu’il soit réservé à nos seules organisations soeurs. Cela implique de soutenir sans ambiguïté les militant·es de l’ensemble du mouvement ouvrier confronté·es à la répression. Par exemple, le combat pour la libération de Georges Abdallah, la solidarité avec Anasse Kazib, Gino ou contre la dissolution de la Jeune Garde doivent devenir des priorités, au nom d’une solidarité qui dépasse les appartenances organisationnelles. C’est en bâtissant de tels ponts de solidarité qu’on peut nourrir un processus de recomposition révolutionnaire internationale. Car une véritable Internationale ne pourra naître que d’un ancrage dans les luttes internationales de notre époque.


C’est cela que nous voulons aujourd’hui : rompre avec les impasses du passé, tirer les bilans, reconstruire sur des bases claires un nouveau projet. Un parti qui parte des luttes réelles, qui s’ancre dans la classe ouvrière telle qu’elle est, qui assume la diversité de ses expériences, de ses formes de politisation, de ses résistances. Un parti capable de confronter les appareils réformistes, de fédérer les nouvelles avant-gardes, d’ouvrir le débat avec d’autres courants révolutionnaires. Ce que nous proposons ici, c'est une refondation à la racine. Parce que la crise actuelle est aussi une chance : celle de reconstruire une organisation à la hauteur de son temps, fidèle à un avenir communiste.




Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), fondé en 1974 par Ted Grant fut notre une organisation trotskyste internationale. En 2019, le CIO a connu une scission majeure, donnant naissance à l’ISA (International Socialist Alternative) plus tourné vers l’intégration des nouveaux mouvements féministes, antiracistes et climatiques. Le PSL a rejoint l’ISA pour à nouveau scissionner en 2024 en donnant naissance au Project for a Revolutionary Marxist International (PRMI).


2 Le terme « grantisme » fait référence aux idées politiques et à la méthode militante développées par Ted Grant. Cette approche a marqué durablement l’histoire de notre organisation. Elle se caractérise par une forte priorité donnée à l’intervention dans les organisations réformistes, une conception très centralisée du parti, une construction de parti par accumulation lente et à la continuité organisationnelle.


Dans la tradition marxiste, et notamment chez Lénine, l’aristocratie ouvrière désigne une strate relativement stable et mieux rémunérée de la classe ouvrière dans les pays impérialistes. Issue de la redistribution partielle des surprofits coloniaux, elle bénéficie de meilleures conditions matérielles. Lénine identifie cette couche comme la base sociale du réformisme, expliquant son opposition aux tendances révolutionnaires et son alignement sur les bureaucraties syndicales et politiques.


L’entrisme est une tactique mise au point par Léon Trotsky dans les années 1930. Elle consiste, pour un groupe révolutionnaire, à entrer dans une organisation plus large, généralement un parti de masse réformiste pour y défendre une orientation marxiste révolutionnaire et y gagner une base dans des moments de crise ou de radicalisation. Trotsky la propose en 1934, à un moment où de nombreux partis sociaux démocrates connaissent une pression de leur base vers la gauche. Il ne s’agit pas pour lui d’abandonner le programme révolutionnaire, ni de se fondre dans le réformisme, mais au contraire de mener un travail politique combatif et temporaire. Il parle d’“entrisme franc” ou “à drapeaux déployés”. Ce que Trotsky rejette clairement, c’est l’idée de rester indéfiniment dans les partis réformistes. Pour lui, l’entrisme n’est qu’un moyen de courte durée, de quelques mois voire 2-3 ans, pour accélérer la clarification politique et construire un nouveau parti sur des bases révolutionnaires.


5 Le Comité pour une Autre Politique (CAP) était une tentative lancée en 2005 pour construire une alternative de gauche aux partis traditionnels comme le PS et le SP.a. Soutenu par de vieilles figures syndicales et politiques issues de la social-démocratie (Jef Sleeckx, Georges Debunne et Lode Van Outrive) et des organisations comme le PSL, il visait à rassembler différents courants dans un Nouveau Parti des Travailleurs. Faute d’ancrage réel dans les luttes et de stratégie claire, le CAP est resté un cadre largement électoral et a échoué à s’imposer. Il s’est dissous en 2011, sans que ses enseignements aient été réellement tirés.


L’économicisme désigne une conception réductrice du marxisme qui subordonne toutes les dimensions de la lutte politique et sociale à la seule lutte économique ou syndicale. Il tend à négliger les oppressions spécifiques (sexisme, racisme, etc.) ou les luttes extra économiques, en supposant qu’elles seront automatiquement résolues par l’avancée de la conscience de classe dans les combats économiques.


Dans les années 1990, le CIO a formulé sa stratégie autour de la notion de double tâche. Il s’agissait, d’un côté, de défendre les idées du marxisme révolutionnaire et, de l’autre, de participer à la construction de nouveaux partis larges de la classe ouvrière, dans l’espoir qu’ils deviennent des outils de rupture avec le réformisme. L’idée était de construire un parti révolutionnaire à l’intérieur de ces processus. https://www.socialistworld.net/2024/04/21/archives-a-socialist-world-is-possible-the-history-of-the-cwi-2004/


https://fr.socialisme.be/97596/france-bloquer-lextreme-droite-dans-la-rue-et-dans-les-urnes


Par tribun du peuple, nous entendons, dans le sens développé par Lénine, une militante capable de relier les luttes particulières aux intérêts généraux de la classe ouvrière, d’élever chaque revendication concrète au niveau d’un combat politique plus large et de porter dans chaque lieu de lutte, entreprise, quartier, mouvement social, une voix combative et unificatrice contre l’ensemble du système. C’est un rôle qui combine ancrage local, conscience de classe et capacité à politiser les injustices.


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