
3 Octobre 2025
Le 22 septembre 2025 restera comme une date marquante dans l’histoire récente des luttes sociales en Italie. Ce jour-là, un appel à la grève générale lancé par l’Unione Sindacale di Base (USB) a transformé l’indignation face au génocide à Gaza en un soulèvement populaire et ouvrier d’une ampleur inédite depuis des décennies. Ports bloqués, trains et métros à l’arrêt, places remplies dans plus de 80 villes : jusqu’à un demi-million de personnes ont participé à une journée qui a révélé deux choses à la fois. D’un côté, la profonde complicité de l’establishment italien – gouvernement Meloni, le président de la République, opposition institutionnelle, hiérarchie catholique – avec l’État d’Israël et ses crimes. De l’autre, l’existence d’une Italie « d’en bas », combative, qui retrouve confiance en elle et en sa capacité de peser sur le cours de l’histoire.
Une Italie fracturée : institutions complices, peuple en mouvement
La mobilisation du 22 septembre ne tombe pas du ciel. Depuis des mois, les manifestations pro-palestiniennes n’ont cessé de s’amplifier, malgré la répression policière et le silence des grands médias. Mais le pas franchi en septembre est qualitativement différent : la colère s’est transformée en grèves, en blocages, en une démonstration de force de la classe travailleuse et de la potentialité d’action quand elle a conscience du rôle moteur qu’elle joue dans la société. De classe en soi à classe pour soi. Les dockers de Gênes, Livourne et Trieste, qui avaient promis de bloquer les ports en cas d’agression contre la Global Summud Flotilla pour Gaza, ont tenu parole, dans les actes. Dans les gares de Milan, Rome ou Naples, les cortèges massifs ont rappelé que le mouvement ouvrier peut encore faire trembler le pays.
Ce basculement a mis à nu la faiblesse du gouvernement Meloni. Présentée comme la dirigeante forte d’une Italie souveraine, la cheffe du gouvernement apparaît désormais comme une vassale : docile face à Trump sur les questions économiques, servile face à Israël lorsqu’il s’agit d’utiliser symboliquement un vaisseau de guerre pour faire semblant de protéger la Flotille. Même une partie de la base électorale de droite constate ce décalage : 71 % des Italien.ne.s soutiennent la Flotilla, un chiffre qui illustre combien la conscience populaire est en avance sur les élites.
Mais la crise touche aussi les autres piliers du système. Le président Mattarella, figure supposément « neutre », se révèle garant de l’ordre établi, exactement comme la Démocratie chrétienne d’hier : essayer de rassurer tout en étouffant. Le Parti démocrate de Schlein et le Mouvement 5 étoiles de Conte surfent sur la vague quand cela les arrange, mais freinent dès que le mouvement sort de leurs rails. Quant à la hiérarchie catholique, elle en reste aux appels creux à la « médiation », perpétuant un rôle fondamentalement conservateur.
La gauche radicale et le syndicalisme de lutte en première ligne
C’est dans ce vide laissé par les institutions que le syndicalisme de base et la gauche radicale – USB et Potere al Popolo en tête – ont su s’imposer comme des références. À l’inverse, la CGIL, première confédération syndicale du pays, a oscillé entre déclarations grandiloquentes et reculs face à la pression. Landini peut bien parler de « révolte sociale », il n’a pas assumé la grève générale du 22 septembre. Pire, certains secteurs de la bureaucratie syndicale (CISL, UIL) ont carrément proposé des « scioperi al contrario » – travailler gratuitement au profit d’ONG liées au gouvernement – une caricature de l’inversion du sens de la lutte.
La réussite de la grève générale a démontré à quel point un syndicalisme de lutte, clair sur ses objectifs et ancré dans l’internationalisme, peut être décisif. L’USB et les dockers de Gênes n’ont pas seulement organisé un arrêt de travail : ils ont posé une ligne politique, celle de rompre avec la complicité italienne dans le génocide, de bloquer les flux économiques qui nourrissent la machine de guerre israélienne. Cette cohérence a permis l’explosion de la mobilisation et donné confiance à des centaines de milliers de personnes.
Une grève politique et l’internationalisme en actes
La question palestinienne agit comme un révélateur et un accélérateur. Révélateur, car elle expose la brutalité d’une droite extrême au pouvoir et la faillite morale de l’ensemble du système institutionnel italien et international. Accélérateur, car elle permet de dépasser les routines syndicales et militantes, de lier les revendications sociales à une cause internationale, de rappeler que le mouvement ouvrier a une responsabilité face aux crimes de guerre et aux génocides. En ce sens, on redécouvre une sorte d’universalisme de la classe qui opère pour l’humanité entière. C’est de l’oxygène pour les poumons de la conscience de classe qui fait extrêmement bien aux mouvements sociaux et à la gauche révolutionnaire Italienne.
Le 22 septembre marque donc le retour de la grève politique en Italie : non pas un simple arrêt de travail pour défendre un salaire ou un contrat, mais une grève qui interpelle directement l’État, ses alliances et ses choix géopolitiques. En bloquant ports, gares et routes, les travailleurs et travailleuses ont affirmé que l’internationalisme ne se limite pas aux discours de solidarité : il se construit dans la pratique, dans la capacité d’arrêter l’économie pour empêcher la participation de son propre pays à un crime contre l’humanité. C’est un élément cruciale si nous voulons peser dans le contexte de multicrise du capitalisme mondial.
Une victoire dans la conscience collective
Au moment où on écrit ces lignes, dans la soirée du 2 octobre 2025, il y avait encore des occupations massives de gares, des places, des écoles et universités à Milan, Rome, Florence, Bologne, Naples, Palerme, et bien d’autres villes. Ce 3 octobre nous avons assisté à une grève générale et ce 4 octobre aura lieu une manifestation nationale à Rome. La lutte de classe est à son plus haut niveau depuis au moins 20 ans en Italie. Mais, l’issue immédiate du mouvement reste incertaine. Meloni reste au pouvoir, l’appareil répressif est mobilisé et l’Union européenne se cramponne à son soutien inconditionnel à Israël. Mais la victoire n’est pas seulement dans les rapports de force institutionnels. Elle est déjà présente dans la conscience populaire : pour la première fois depuis longtemps, l’Italie est regardée avec respect à l’international, pour la force et la dignité de ses mobilisations.
Ce que cette explosion démontre, c’est que la gauche – avec un syndicalisme combatif et des mouvements radicaux composés de militant·es de terrain ancré.e.s dans les luttes– a la capacité de faire irruption sur la scène politique quand les circonstances l’exigent. Et surtout, que face au génocide en Palestine, une majorité de la société italienne ne veut plus rester indifférente.
Comme l’écrivait Gramsci, « non bastano i migliori » : les meilleurs ne suffisent pas. Il faut un peuple en mouvement. Le 22 septembre et les jours qui ont suivi ont montré qu’il existe, et qu’il peut transformer l’indignation en action. À nous tous et toutes de continuer la bataille !