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GenZ : mobilisation contre un système corrompu

22/10/2025

Au Népal, à Madagascar et au Maroc, la génération Z se mobilise contre les injustices, mêlant symboles, réseaux sociaux et critiques des élites. Ces mouvements révèlent des points communs frappants : des conditions de vie dégradées par la corruption et le système capitaliste, mais aussi le potentiel de mobilisation d’une jeunesse connectée et solidaire, prête à rêver et à agir pour changer la société.

Le 6 septembre 2025, un événement tragique agit comme l’élément déclencheur d’un vaste mouvement de contestation au Népal: une voiture ministérielle officielle (SUV) blesse grièvement une fillette. Cet incident, perçu comme le symptôme d’une impunité structurelle des élites politiques, provoque une onde d’indignation nationale. Dans l’opinion publique, il cristallise l’idée que les représentants d’État sont « au-dessus des lois », échappant à toute forme de sanction ou de responsabilité. Dans les jours qui suivent, le vent de colère se propage à travers le pays. De cette indignation naissent des manifestations rassemblant des étudiant.e.s, des travailleur.euse.s précaires et des militant.e.s associatifs.

Au Népal, le marché de l’emploi peine à offrir du boulot à toutes et tous, ce qui compromet les perspectives d’avenir de la jeunesse et renforce la prévalence de l’emploi informel. Cette situation est aggravée par la visibilité, sur les réseaux sociaux, du mode de vie luxueux des dirigeants, qui accentue le sentiment d’injustice parmi les jeunes. Cette frustration qui imprègne la jeunesse depuis des années s’enflammera après l’interdiction par le gouvernement de 26 réseaux sociaux pour tenter de limiter les mobilisations, .

Le 8 septembre 2025, la mort de 19 manifestant.e.s révèle au grand jour la violence de la classe dirigeante. Ainsi, les revendications montent en puissance et, dans la tourmente des affrontements, s’élève l’exigence de la démission du gouvernement. Dans ce contexte, Discord joue un rôle central dans la structuration du mouvement. Nerf de la mobilisation, la plateforme est massivement employée comme outil de communication.

Très vite, le mouvement se dote d’un symbole visuel et d’une dénomination puissante : le mouvement Gen Z, symbolisé par un drapeau noir frappé d’un crâne couronné d’un chapeau de paille, directement tiré de l’univers du manga One Piece d’Eiichirō Oda. L’œuvre d’Oda, par sa trame narrative et ses choix scénaristiques, symbolise un défi contre l’ordre établi, incarnant une quête de liberté face aux structures autoritaires et corrompues.

Dix-neuf jours plus tard, le 25 septembre 2025, ce même emblème est repris par le collectif Gen Z Madagascar, marquant la diffusion transnationale du mouvement et son inscription dans une dynamique internationale. Si les premières mobilisations s’articulent autour de revendications matérielles, notamment la dénonciation des coupures récurrentes d’électricité et d’eau, elles s’élargissent rapidement pour critiquer le régime politique, la captation des ressources publiques et l’injustice sociale. À Madagascar, la corruption dépasse le cadre d’une simple déviance institutionnelle : elle s’apparente à ce que Friedrich Engels qualifiait de « meurtre social », c’est-à-dire une forme de violence structurelle par laquelle la négligence étatique et l’indifférence politique conduisent à des souffrances et à des décès évitables. Un meurtre social largement dissimulé par le gouvernement et minimisé dans les médias officiels. En effet,  l’ampleur de cette corruption systémique se manifeste dans la dégradation continue des conditions de vie, le manque d’investissement dans les infrastructures hospitalières, le sous-financement chronique du système éducatif ainsi que dans l’inaction persistante face à la famine qui ravage le sud du pays depuis plusieurs années. Ces carences cumulées constituent les symptômes d’un système politique méprisant où les intérêts particuliers prévalent sur le bien commun. Les conséquences humaines sont considérables. L’État, en renonçant à garantir les droits fondamentaux à la santé, à l’éducation et à l’alimentation, participe activement à la production de la misère et à la perpétuation des inégalités.

Suivant le cheminement observé au Népal, le mouvement malgache se radicalise. De grandes marches s’organisent, et le slogan « Miala Rajoelina » (Dégage Rajoelina, en référence au président) est scandé dans les rues de la capitale, Antananarivo. Sur fond de répression policière violente et d’interdiction de manifester, le mouvement attire l’attention de la communauté internationale, notamment lorsque 22 personnes décèdent dans les manifestations. Inspirée par des mobilisations fortement relayées sur les réseaux sociaux, la jeunesse d’autres pays, comme celle du Maroc, se met ensuite, elle aussi, en mouvement.

Au Maroc, le mouvement est né d’un drame survenu à l’hôpital Hassan II d’Agadir : la mort de huit femmes en couches, symbole tragique d’un système de santé publique à l’abandon. En réaction, deux manifestations sont rapidement organisées. De nouveau, le drapeau de ‘One Piece’ est brandi en signe de lutte contre l’autorité étatique et la corruption. À la suite de la répression policière lors du deuxième rassemblement, un appel à manifestation d’ampleur historique a circulé sur les réseaux sociaux. Cette mobilisation massive a été interdite par les autorités avant même d'avoir lieu. Suite à cette interdiction, les jeunes ont réagi en publiant des messages proclamant que la ville d'Agadir s'était « révoltée contre les inégalités » et en appelant les autres villes à suivre l'exemple. La jeunesse marocaine fait part d’un désenchantement profond vis-à-vis de l’action publique et des choix d’investissement de l’État. Les jeunes dénoncent les dépenses très élevées dans certains secteurs comme le sport, notamment pour l'organisation de compétitions continentales et mondiales comme la Coupe d'Afrique des Nations ou la Coupe du Monde 2030 de Football. Ce qui contraste fortement t aveces secteurs vitaux comme la santé et l'enseignement qui sont en crise et dans une économie où l'absence d'offres d'emploi est généralisée.

Un canal Discord, baptisé GenZ212, a rapidement regroupé un grand nombre de jeunes (potentiellement des millions). Ce canal a permis d'élaborer des propositions et de les soumettre au vote des membres, illustrant une approche de gouvernance démocratique pour la gestion de leurs actions. Suite aux propositions adoptées, un plan d'action a été élaboré dans le but de mener la lutte pour le  changement dans les rues du Royaume, les militants ne voulant plus dépendre de l'inertie des institutions politiques. Dès le début, les premières manifestations ont été marquées par une forte présence policière visant à stopper l'évolution du mouvement. Les forces de l'ordre ont procédé à de nombreuses arrestations.

Malgré cette répression initiale, le courage et la détermination des jeunes ont prévalu, les manifestant.e.s continuant de descendre dans la rue. Face à la persévérance du mouvement, la violence policière s'est intensifiée. Après la répression par les arrestations, les forces de l'ordre sont passées à des méthodes d’agression corporelle, entraînant de nombreux blessés, dont certain.e.s très graves qui ont nécessité des évacuations d'urgence. Plus grave encore, le mouvement a été endeuillé par la mort de manifestant.e.s suite à des tirs directs de la police (trois personnes auraient été tuées, notamment près d'Agadir), marquant une escalade dramatique dans la confrontation.

En bref, la Génération Z, loin d'être une simple cohorte générationnelle sujette aux classifications sociologiques bourgeoises, constitue l'incarnation historique de la faillite organique du capitalisme néolibéral. Nés au cœur de l'ère de l'hyper-réification numérique, ces jeunes n'ont connu qu'un seul horizon économique ; celui des crises paroxystiques et de l'agonie programmée de l'État-providence. L'éducation politique de cette jeunesse fut assurée par le spectacle sidérant de la socialisation des pertes (le sauvetage inconditionnel de la finance par l'argent public) et de la privatisation des profits, révélée par les scandales incessants de la corruption oligarchique. Ce fardeau d'une dette et d'une précarité structurelles, légué par les classes dirigeantes, a pulvérisé le mythe idéologique de la croissance pour tous, exposant la jeunesse au mécanisme brutal de la dévalorisation du travail et de la prolétarisation accélérée.

La Génération Z marocaine, népalaise et malgache, hyperconnectée, s'est distinguée par son usage stratégique des outils numériques. Ils partagent le sentiment de vivre des situations similaires d'inégalités,  de précarité et une volonté commune de lutter.

Ce que la presse, inféodée au pouvoir, qualifie d’« apathie » relève en réalité d’un rejet lucide des institutions et des élites ayant trahi la classe travailleuse. La génération Z privilégie désormais des formes de contestation collective directe, exprimant une volonté de transformation radicale face à la violence d’un capitalisme sauvage et à la course au profit des élites politiques corrompues.

C'est cette colère de classe légitime, portée par les déshérités du globe, qui a provoqué l'explosion de la mobilisation internationale. Cette vague de révolte, en réaffirmant la permanence de la lutte des classes, s'est manifestée de manière emblématique depuis les voix s'élevant au Népal pour contester l'appareil d'État et sa mauvaise gouvernance, en passant par les luttes des masses à Madagascar contre la misère absolue et la corruption endémique, jusqu'aux jeunes du Maroc qui dénoncent l'inégalité structurelle d'un modèle économique à deux vitesses. Ce même élan révolutionnaire a galvanisé les étudiant.e.s du Chili dans leur combat pour démanteler l'héritage d'un modèle ultralibéral, et il anime les mouvements contre l'injustice en France et au Pérou. Partout, la jeunesse globalisée, par-delà les frontières nationales, articule la nécessité de la rupture.

ecrit par: Rakoto, Agrawli et Anna B



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