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Fil Rouge! : 12 octobre 1925

12 Octobre 2025


Il y a cent ans, pour s’opposer à l’intervention coloniale dans le Rif, les travailleur.euse.s se mettent en grève !

Le Rif, c’est la région montagneuse du Nord du Maroc, bordée à la fois par la Méditerranée et l’océan Atlantique. Elle est peuplée par des tribus amazighs (berbères) dont la langue et une partie du mode de vie diffèrent des populations arabes voisines.

Guerre coloniale du Rif

La présence coloniale au Maroc est ancienne : elle remonte au 15e siècle et s’accentue dès le 18e. Mais elle rencontre très vite une résistance des populations locales : depuis le 17e siècle, des révoltes armées secouent le Rif contre les tentatives d’annexion coloniale de la Grande-Bretagne, de l’Espagne, de l’Italie et de la France. 

En 1906, à la conférence d’Algésiras, la France obtient des droits sur le Maroc mais l’administration du Rif est confiée à l’Espagne. Après le traité de Fes (1912), la France et l’Espagne règnent brutalement et sans partage sur le territoire marocain.

 Les Rifains organisent alors, dans un acte politique assez unique à l’époque, une résistance puissante contre l’occupation coloniale, dont Mohammad Ben Abd al-Krim al-Khattabi est le dirigeant principal. Il devient président de la République du Rif, une des grandes républiques indépendantes dans le sud de la Méditerranée, proclamée en 1923.

Alors que l’Espagne coloniale subit, depuis 1918, de nombreux revers militaires face à la combativité de la résistance dans le Rif et à la fragilité constante de l’armée espagnole - surtout après la défaite d’Anoual -, le gouvernement français décide d’intervenir militairement dans la région en 1925. Plus de 150.000 soldats, sous les ordres du sinistre Lyautey, remplacé ensuite par le non moins sinistre Pétain, sont envoyés en renfort des troupes espagnoles dépassées. Le commandement de l’armée définit une politique de guerre totale, qui se traduit par un niveau de brutalité que ne connaissent que trop bien les peuples opprimés par les puissances coloniales : bombardements massifs de villages par l’aviation, campagne de terreur contre les civils avec l’assassinat de tous les hommes pris par l’armée, incendies des cultures et utilisation d’armes chimiques contre les populations locales.

Le projet émancipateur républicain porté par la République du Rif, inspiré par la victoire de la révolution russe quelques années plus tôt, permet à la résistance anticoloniale de construire les prémices d’une alternative politique, d’une justice auto-administrée et d’une armée populaire… Même si la République ne sera jamais reconnue par aucune puissance coloniale du globe, elle organisera la solidarité internationale contre le colonialisme, défendra le droit à l’autodétermination des peuples devant la jeune Société des Nations et deviendra un symbole de la lutte anti-impérialiste. Le régime colonial attisera de son côté les divisions dans les populations locales et s’appuiera sur certaines élites locales pour combattre la résistance. Des méthodes que l’on retrouvera dans de nombreuses luttes d’émancipation à venir, comme par exemple en Algérie ou au Vietnam.

Le mouvement anticolonialiste en France

En France, l’idéologie coloniale est très largement répandue dans la population, au point d’être dominante au sein des classes populaires. La presse, aux ordres du gouvernement, défend l’intervention militaire en expliquant la mission civilisatrice de la France au sud du Maroc, en Syrie et dans le Rif. La classe dirigeante française a par contre un caillou dans sa chaussure : l’existence d’un mouvement ouvrier de plus en plus politisé et organisé qui essaie de jouer un rôle de contrepoids aux mensonges et violences de l’ordre colonial.

Les travailleur.euse.s français.e.s sortent en effet depuis peu de la première boucherie mondiale et ielles sont nombreux.ses à s’inspirer des conclusions politiques tirées par celles et ceux qui n’ont pas sombré dans le chauvinisme en 1914. Ce courant politique sera particulièrement représenté par la SFIC (Section Française de l’Internationale Communiste, qui prendra peu après le nom de Parti Communiste). Dans ces années-là qui précèdent la stalinisation rampante, cette organisation tente encore de mener une réelle politique révolutionnaire et anticoloniale. En effet, l’Internationale Communiste, aux côtés de l’Internationale Syndicale Rouge, appelle encore en ce temps-là à l’indépendance des territoires colonisés et à la fraternisation du mouvement ouvrier avec les luttes de libération nationale.


C’est dans ce contexte, et pour faire face à l’envoi de dizaines de milliers de soldats français dans le Rif afin de mater la rébellion, que se crée dans l’hexagone en mai 1925 un Comité Central d’Action contre la guerre coloniale du Rif. Malgré une volonté de Front Unique parmi les militant.e.s de la SFIC, et hormis quelques exceptions notables, la SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière, qui deviendra plus tard le Parti Socialiste) et la CGT (principal syndicat des travailleurs, dominé par la SFIO) se tiennent à l’écart notamment à cause de leur soutien au gouvernement du Cartel des Gauches (qui réunissait plusieurs partis bourgeois “modérés” avec le soutien extérieur de la SFIO). Ce comité organisera, malgré tout, des meetings sur tout le territoire pour dénoncer la politique coloniale française et préparer la mobilisation antimilitariste et anticoloniale. Le 2 juillet 1925, un appel collectif est lancé à l’initiative d’Henri Barbusse, écrivain et figure du PC-SFIC, dont voici quelques lignes :

« Nous proclamons une fois de plus le droit des peuples, de tous les peuples, à quelque race qu’ils appartiennent, à disposer d’eux-mêmes. Nous mettons ces clairs principes au-dessus des traités de spoliation imposés par la violence aux peuples faibles. Nous considérons que le fait que ces traités ont été promulgués il y a bien longtemps ne leur ôte rien de leur iniquité. Il ne peut y avoir de droit acquis contre la volonté des opprimés. On ne saurait invoquer aucune nécessité qui prime celle de la justice. »

Dans la foulée de cet appel se tiendra un « Congrès ouvrier et paysan » qui, à l’initiative d’ouvriers d’une usine de Citroën, adopte l’idée d’une grève nationale de 24h contre la guerre et le colonialisme. Fin juillet, le congrès de la CGTU (la CGT Unitaire, syndicat dissident de la CGT et dirigé par la SFIC) suit la proposition du Congrès ouvrier et paysan en votant l’organisation d’une grève contre la guerre coloniale du Rif. Alors que les journaux sont saisis, les tracts confisqués, les militant.e.s arrêtés, le Comité d’Action fixe la journée de grève au 12 octobre 1925 et produit un appel où l’on peut, entre autres, lire :

« Travailleurs et travailleuses, L’Heure de la démonstration prolétarienne a sonné. Lundi 12 octobre, vous cesserez le travail pour 24 heures. Désertez en masse votre travail, manifestez avec le comité central d’action. A bas la guerre ! Vive la grève générale de 24 heures ! »

Si les historiens et les militant.e.s discutent encore aujourd’hui du nombre de grévistes ayant participé à cette journée d’action, il ne fait par contre aucun doute que cette grève constitue un moment majeur dans l’histoire du mouvement ouvrier mondial. C’était en effet la première fois que des travailleur.euse.s organisé.e.s affirment haut et fort leur opposition au colonialisme et leur internationalisme par l’arme de la grève politique. Les chiffres varient, mais on parle ici de plusieurs centaines de milliers de grévistes à un million à travers la France – un chiffre déjà impressionnant pour une lutte avec un véritable profil anticolonial à cette époque.

La répression sera, quant à elle, féroce. Elle est marquée par la violence des affrontements qui feront deux morts dont André Sabatier, trésorier du syndicat CGTU de l’Atelier de construction de Puteaux. Des centaines de travailleur.euse.s seront arrêté.e.s et condamné.e.s à des peines de prison fermes pour faits de grève, heurts avec la police ou délits de provocation de militaires à la désobéissance. Les tribunaux bourgeois et coloniaux ont requis en effet plus de 320 années de prison contre les travailleur.euse.s qui se sont levé.es contre la politique coloniale.

Un siècle plus tard, l’héritage de ces luttes survit 

La République du Rif sera militairement tuée à la fin mai 1926. Cette république éphémère, mais déterminée, aura mis à mal l’ordre colonial et constitue une source d’inspiration pour les générations suivantes qui lutteront avec force et détermination contre le colonialisme et pour l’autodétermination des peuples.

En effet, un siècle plus tard, l’esprit de lutte du Rif vit encore parmi les peuples opprimés et les jeunesses révoltées. La jeunesse marocaine - cette génération Z qui se soulève aujourd’hui dans divers coins du monde - affronte un pouvoir qui perpétue l’oppression, le chômage massif, la corruption et la répression. De la lutte contre le colonialisme au mouvement du 20 février 2011 en passant par le Hirak de Jerada suivi par celui du Rif en 2016 ainsi que la colère des jeunes sur les réseaux et dans les stades ces dernières semaines, une même exigence traverse les décennies, celle de la dignité, de la liberté et de la justice.

Quant à la grève du 12 octobre 1925, même si elle n’a pas pu arrêter la guerre et le projet colonialiste, elle aura le mérite historique d’avoir montré le chemin de la solidarité internationale face à l’impérialisme. La charge symbolique de cet événement doit nous amener à renouer avec les meilleures traditions du mouvement ouvrier et de son internationalisme militant et anticolonial. Une tradition que l’on voit réactivée ces derniers temps par les grèves massives en Italie de solidarité avec la Palestine.

Même s’il est probable que très peu de militant.e.s ouvrier.ère.s italien.ne.s connaissent aujourd’hui cette histoire, les réflexes de la solidarité internationale ont été remis à l’ordre du jour récemment par la classe travailleuse italienne qui a organisé des mobilisations éblouissantes en solidarité avec la lutte du peuple palestinien. Avec les armes de la grève et des blocages, les travailleur.euse.s italiens ont renoué avec l’idée de grève politique qui lie le sort des peuples opprimés à celui des travailleur.euse.s des pays capitalistes avancés. Suivons dès aujourd’hui ce chemin – le seul à même de bloquer la machine génocidaire israélienne et l’impérialisme qui la soutient.

Notre arme est la solidarité !

Kizil Rako


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