1er decembre 2025
Les négociations sectorielles de l’industrie chimique et des sciences de la vie sont à l’arrêt. Ces négociations suivent tous les 2 ans l’AIP (accord interprofessionnel) et sont à chaque occurrence plus limitées. Les négociations sectorielles pour 2025-26 se retrouvent coincées entre l’Arizona et un patronat radicalisé. La pression à la base parmi les travailleur.euses a poussé les directions syndicales à initier un plan d’actions. En plus de la grève générale du 26 novembre, des actions sectorielles sont prévues et un préavis de grève à durée illimitée à été posé. Certaines délégations ont même annoncé qu’elles utiliseraient ce préavis pour se mobiliser aux côtés des cheminots le 24 novembre et des services publics le 25. Une première concentration de délégués a eu lieu le vendredi 14/11 devant Pfizer à Puurs (Anvers).

Le 21/11, ce fut le tour de Total Feluy (Charleroi). Enfin, une grève sectorielle est prévue le 5/12 si les négociations n’ont pas repris. Ce plan d’action reflète la colère parmi de nombreux travailleur.euses du secteur, qui étaient d’ailleurs massivement présents lors de la manifestation nationale du 14 octobre dernier. Mais il semble aussi avoir été pensé de manière indépendante des journées de grève nationale de fin novembre, avec le risque réel d’avoir limiter la mobilisation du 26 novembre
Le banc patronal rejette toutes les demandes du front commun sectoriel: augmentation de salaires, maintien de la prise en compte des métiers lourds dans les fins de carrières… Au mieux pouvons-nous espérer une augmentation du salaire net. Il compte par contre utiliser les négociations pour élargir les possibilités de recours à l’intérim et aux flexi-jobs. Le secteur est pourtant déjà caractérisé par une grande flexibilité et de nombreux horaires atypiques: feu-continu, nuit 5x8h, nuit 4x10h, horaire week-end (samedi, dimanche + un autre jour de la semaine), 10-18h, 12-20h… En bref: adapter la journée de travail au rythme de la production, au détriment de la santé des travailleur.euses. Depuis 2004, une partie du précompte professionnel des travailleur.euses en équipes (6-14h / 14-22h) et de nuit n’est plus du, ce qui signifie une diminution des cotisations sociales. Rien qu’en 2023, on parle ainsi de plus de 2 milliards d’€ de cadeaux fiscaux. On augmente la flexibilité pour les travailleur.euses tout en faisant des cadeaux fiscaux au patronat.
L’Arizona a posé les bases pour détruire les conditions de travail du secteur: annualisation du temps de travail, suppression de l’interdiction du travail du dimanche, de nuit et des jours fériés et considération du travail de nuit à partir de 00h00 et plus 20h00.
L’Arizona a très rapidement attaqué les mécanismes qui permettent d'alléger la fin de carrière: crédit-temps de fin de carrière, RCC (pré-pensions) et pensions anticipées. De nombreux travailleur.euses qui espéraient, une fois l'âge atteint, pouvoir diminuer leur temps de travail vont devoir faire une croix là-dessus. La suppression du RCC par l’Arizona retire un des derniers “gros” sujets de négociation sectoriel. Dans le secteur, depuis quelques années, les préavis de départ en RCC qui excédaient 14 mois pouvaient être prestés à domicile. Depuis septembre 2025, l’Arizona a modifié les conditions d’octrois pour bénéficier du RCC, créant plusieurs cas d’ouvrier.es et d’employé.es qui avaient entamé leur préavis depuis plus d’un an, qui allaient enfin pouvoir entamer la partie du préavis à domicile mais qui vont finalement devoir revenir travailler plusieurs années, jusqu'à la pension. Plus globalement, l'accès à la pension anticipée et au crédit-temps de fin de carrière (qui permettait de passer à temps partiel mais assimilé à un temps plein du point de vue de la pension) étaient vu comme le graal par rapport à la perspective sinistre d'une pension à 67 ans pour les travailleur.euses en horaire atypique massivement présents dans l’industrie. La question des fins de carrière est donc avant tout liée à l’Arizona, sur recommandation du patronat du secteur.
Dans son budget de fin novembre, l’Arizona a également décidé de geler l’indexation des salaires pour la tranche au-dessus 4000€ brut par mois, soit aux environs du salaire médian belge. Le gel va impacter la majorité des travailleur.euses.euses du secteur qui vont perdre plusieurs dizaines ou centaines d’euro d’augmentation mensuelles durant la législature. Alors que le coût de la vie ne cesse de continuer d’augmenter.
Le front commun revendique “un accord valable pour les cadres”. Bien que relativement floue, cette revendication amène un point qui mériterait d’être développé. L’industrie n’hésite pas à faire passer de nombreux employés vers le statut cadre. Cela permet de sortir tous ces travailleur.euses des accords convenus pour les employés barémisés. Les cadres peuvent bien sûr être syndiqués mais ne peuvent plus compter sur des délégués syndicaux. Certaines entreprises reconnaissent, selon le rapport de force local, l’existence de pseudo délégations syndicales cadres constituées par exemple des élus cadres au CPPT mais ce type d’accords est très rare et instable.Certaines entreprises, comme GSK, comportent même plus de cadres que d’ouvriers. Le statut cadre, qui donne historiquement sur le marché de l'emploi l'impression d'obtenir un statut valorisé, se retrouve ainsi dévoyé par des conditions de travail dégradées et des protections affaiblies.
Les négociations sectorielles sont suivies par de nombreux travailleur.euses, en particulier les possibilités d’aller chercher une petite augmentation de salaire ou un chèque en one-shot qui peut servir à mettre du beurre dans les épinards. Un plan de bataille spécifique au secteur est crucial pour aller arracher des augmentations de salaire et défendre des revendications offensives sur les fins de carrière. Mais l’existence simultanée d’un plan d’action national oblige à ne pas avancer tête baissée. Multiplier les journées de grèves peut affaiblir les deux plans d’action car cela pousse à avancer en ordre dispersé. En réalité, la lutte contre le patronat de la chimie est organiquement liée à celle contre l’Arizona.
Essenscia, la fédération patronale de l’industrie chimique et des sciences du vivant peut compter sur le soutien actif de l’Arizona qui l’a placée dans un fauteuil pour entamer les négociations en sabotant les négociations avant même qu’elles ne démarrent. En bloquant les augmentations salariales bruts et en supprimant les RCC, il ne reste plus grand chose à négocier. Et les maigres chèques Corona et inflations que le patronat avait concédé du bout des doigts il y a 4 et 2 ans, lors des précédentes négociations, ne sont même plus à l’ordre du jour. L’Arizona a ouvert la porte à l’augmentation des chèques-repas à 10€. Mais en bloquant le point au niveau du secteur, Essenscia permet que cette augmentation ne puisse au mieux être négociée que dans les entreprises où il y a une délégation syndicale. L’Arizona est ainsi directement responsable du blocage des négociations sectorielles et travaille main dans la main avec Essenscia.
Sur le long terme, Essenscia peut compter sur l’Arizona et ses successeurs pour continuer de limiter le cadre des négociations sectorielles et déplacer l’essentiel des négociations dans les quelques entreprises ayant une délégation et un minimum de rapport de force. Ces délégations seront rapidement mises sous pression. Dans un secteur où la majorité des entreprises n’a pas de négociation, les directions expliqueront que pour rester concurrentiel et maintenir l’emploi, il ne faut pas être trop gourmand. Dans de nombreuses entreprises, à écouter la presse patronale, le secteur est à l’agonie et la moindre demande pourrait rapidement coûter des emplois et la survie même des entreprises. Les travailleur.euses sont ainsi pris en étau entre l’Arizona et leur direction d’entreprise.
Le front commun a raison de mettre en avant les dividendes titanesques reversés aux actionnaires dans l’industrie chimique et des sciences du vivant (25 milliards € en 2024). Nous devons certes revendiquer de réelles augmentations de salaires mais aussi commencer à discuter de ce qu’on pourrait faire si on contrôlait collectivement ces richesses. Alors que les services publics sont à l’agonie, les richesses issues des usines et accaparées par les actionnaires pourraient permettre de répondre aux pénuries sociales.
D’un point de vue stratégique, le plan d’action sectoriel aurait dû se concentrer sur le renforcement du 26 novembre en y amenant les revendications spécifiques des travailleur.euses du secteur et ne pas être simplement présenté comme une date parmi d’autres. Cela permettrait de lier la lutte contre l’Arizona à celle contre Essenscia plus organiquement. L’idée d’organiser des actions devant les grandes entreprises (Pfizer, Total mais on pourrait aussi penser à GSK, BASF ou bien d’autres) est un bon point de départ mais la mobilisation ne devrait pas se limiter aux délégués. Une série d’actions devant les grosses entreprises du secteur, principalement à Anvers et dans le Brabant-wallon mais aussi du côté de Gand ou de Liège, aurait pu servir de caisse de résonance pour chauffer les troupes et construire une journée du 26 novembre explosive dans le plus grand secteur industriel de Belgique.
La journée du 26 novembre a été riche en enseignements. A Bruxelles, les actions les plus radicales se sont déroulées dans les secteurs féminisés comme l’enseignement et la santé. Les travailleuses n’attendent pas que les directions syndicales donnent les instructions. Elles s’organisent à la base, par exemple via Écoles en Lutte. De l’autre côté, dans l’industrie, le haut taux de syndicalisation renforce le rapport de force objectif des ouvriers et employés mais il freine aussi l’émergence de cadres de lutte indépendant des directions syndicales. Ces dernières visent essentiellement la concertation sociale, sont souvent divisées selon la couleur et le statut et tendent à freiner la radicalisation en vue de ne pas interrompre le soi-disant “dialogue social”. Thierry Bodson a déjà annoncé qu'il n’y aurait plus de grèves intersectorielles avant 2026. En absence de perspectives, la grève sectorielle du 5 décembre pourrait tomber à plat.
Après la manifestation du 14 octobre, le pessimisme a fait un grand pas en arrière parmi nos collègues. En appelant à 72h de grève fin novembre, les cheminots ont permis de radicaliser la lutte contre l’Arizona. Parmi l’avant-garde, le débat sur la suite du mouvement n’est plus de savoir s’il faut la grève générale, mais pour combien de temps: 48h? 72h? Une semaine ? L’industrie, chimique et pharmaceutique dans notre cas, doit discuter de sa place dans le mouvement. Un réel blocage des usines le 26 novembre aurait eu un impact titanesque pour construire le rapport de force, vu le poids économique du secteur. Les 700 entreprises du secteur sont composées de 100.000 emplois directs et 250.000 emplois indirects. Via des assemblées sur chaque lieu de travail, il serait possible de construire à la base le mouvement contre Essencia, l’Arizona et sa propre direction. Nous avons besoin d’un espace pour discuter d’un programme offensif et pas simplement se défendre face aux attaques patronales.
La concentration de l’emploi dans les usines et les zonings industriels permet de rendre ces AG massives en impliquant aussi les travailleur.euses des très nombreuses entreprises sous-traitantes, que ce soit du nettoyage, de la cuisine, de la maintenance ou autres. La question de la grève reconductible doit ainsi être posée et discutée collectivement. Des grèves de plus de 24h, discutées démocratiquement à la base, même dans quelques usines constitueraient une excellente réponse aux secteurs qui ont fait 48h ou 72h de grèves fin novembre et permettraient de faire un grand pas en avant dans la chute de l’Arizona.
En ne visant que le retour autour à la table des négociations, le Front Commun sectoriel limite la potentialité de la lutte. Retourner à la table? Pour négocier quoi? Dans toutes les négociations sectorielles, l’enjeu des négociations est rendu à peau de chagrin. En se limitant au soi-disant dialogue social, les directions syndicales savent déjà que la défaite se profile. Le plus dur n’est pas la chute, c’est l'atterrissage. La concertation sociale, c’est jouer avec les règles que le patronat nous impose. C’est le plateau de jeu qu’il faut renverser.